Par Taline Papazian
Le 7 octobre dernier, alors que les derniers réfugiés d’Artsakh arrivaient en Arménie, le Hamas a lancé une attaque ignoble et spectaculaire contre Israël depuis la bande de Gaza, tuant des centaines de civils de tous âges et faisant des centaines d’otages, y compris des enfants et des personnes âgées. Dix jours après le début de cette guerre, qui commence à peine mais a fait déjà 4000 victimes de part et d’autre, quels sont les points d’attention à avoir pour le Caucase du sud et l’Arménie, extension géographique, et pour partie historico-politique, du Moyen-Orient ?
Beaucoup dépendra de l’évolution de la guerre dans les prochains jours, mais d’ores et déjà cet épisode du très long conflit israélo-palestinien nous interpelle à plus d’un titre. Le problème entre Israël et le Hamas est une guerre locale (la bande de Gaza est un territoire de 360km², densément peuplé), avec des implications régionales et internationales. Si le Hamas comptait sur une société israélienne fracturée, il s’est trompé. Cet événement fait monter d’un cran le niveau de risques, déjà élevé, sur la région du Caucase du sud. Une escalade régionale impliquant l’Iran risquerait tout bonnement de faire de l’Arménie un dommage collatéral. Les travaux de fortifications du territoire, la coopération et la coordination avec les associations civiles de la défense doivent être menées de front avec les transformations stratégiques, doctrinales et militaires des Forces Armées arméniennes.
Beaucoup dépendra de l’évolution de la guerre dans les prochains jours, mais d’ores et déjà cet épisode du très long conflit israélo-palestinien nous interpelle à plus d’un titre. Le problème entre Israël et le Hamas est une guerre locale ( la bande de Gaza est un territoire de 360km², densément peuplé), avec des implications régionales et internationales. La préparation de l’attaque, qui a pris au dépourvu une armée et des services de renseignements parmi les plus efficaces au monde, démontre une nouvelle fois que l’invulnérabilité n’existe pas pour un pays vivant en situation de guerre permanente. Le Hamas, soutenu par des puissances étrangères actives, en particulier iraniennes, a préparé son opération soigneusement, utilisant des tactiques typiques de la partie faible dans une guerre asymétrique, comme par exemple les infiltrations en parapente. Contrairement cependant à une armée classique, digne de ce nom, les combattants du Hamas sont des terroristes qui une fois en territoire ennemi ont pour objectif de commettre à grande échelle des actes d’une sauvagerie inhumaine, fiers de faire couler le sang des civils, semer la terreur, torturer des familles, décapiter des bébés. Ce qui n’empêche pas les forces armées de certains Etats – les Arméniens en savent quelque chose- de se comporter comme ces mêmes terroristes –et de faire appel à eux, au besoin, comme en 2020-, coupant des oreilles, des têtes, torturant des enfants, violant et démembrant des femmes. La différence tient dans la qualification donnée par la communauté internationale : « terroristes avec qui on ne discute pas », d’un côté ; « partenaire fiable » de l’autre. Les défenseurs de la cause palestinienne, qui réclament à juste titre le droit à un Etat palestinien, n’ont pas dans le Hamas un allié mais un adversaire de leur cause.
Terroriser pour paralyser, l’objectif est bien connu. C’était sans compter la capacité de mobilisation de la société et de la classe politique israéliennes, dont je souhaiterais qu’elle nous inspire. Si le Hamas comptait sur une société israélienne fracturée, il s’est trompé. Alors que des manifestations contre les réformes du système judiciaire engagées par le Premier Ministre Netanyahu rassemblaient des centaines voire des milliers de citoyens israéliens chaque semaine depuis des mois, tous se sont tus face à l’agression contre leur pays. Sur invitation du Premier Ministre, les partis d’opposition ont fait l’union pour faire face à la guerre. Le temps de la politique et des comptes viendra une fois la crise passée, et Bibi y laissera peut-être son poste. Mais ce sera pour après.
Parallèlement aux frappes aériennes israéliennes, initiées en riposte, et à la préparation d’une attaque au sol contre la bande de Gaza d’où des tirs de roquette continuent en dépit des destructions infligées par les frappes, des tractations diplomatiques intenses ont commencé immédiatement. Les Etats-Unis et l’Iran sont les deux parties les plus activement engagées dans ces tractations avec des intérêts opposés. Israël était en passe de normaliser ses relations avec un certain nombre de pays de la Ligue arabe, et en particulier avec l’Arabie Saoudite. Les Accords d’Abraham signés en 2020, prévoient une normalisation graduelle d’abord avec les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn, puis l’Arabie Saoudite et le Maroc. Israël tente aussi d’établir des relations diplomatiques avec les pays africains via le Maroc, dont l’ancienne communauté juive est très active en Israël. Les questions économiques et de communications étaient passées au premier plan, en particulier la question des communications de l’Inde vers l’Europe par exemple. Le rapprochement avec l’Arabie Saoudite est un élément clé de ce processus. Bref, la question de la guerre israélo-palestinienne, israélo-arabe à l’origine (en 1947) était passée au second plan. Mais la paix ne plait pas à tout le monde et il est permis de penser que la normalisation avec l’Arabie Saoudite, activement soutenue par les Etats-Unis, était directement visée par le Hamas et ses alliés extérieurs. Son avenir est désormais incertain.
Les objectifs que se donnent Israël ne sont pas encore clairement tranchés, mais les observateurs avertis s’accordent à dire que les choix sont mauvais. La destruction des infrastructures et des armes utilisées par le Hamas est un objectif évident mais difficile, à la fois en termes de dommages civils et de tactique de guérilla urbaine extrêmement dense et forcément couteuse en vies humaines qui sera exigée. Israël a un problème d’image dans l’opinion publique internationale, et ne souhaite pas sortir de cette guerre, où elle est la partie agressée, avec une image encore ternie. Israël pourrait aussi être tenté par des objectifs maximalistes –si le soutien extérieur et la mobilisation intérieure le permettent- consistant à chercher à se doter de « coussins » de sécurité dans la région, et pas seulement à neutraliser les menaces venant de Gaza.
L’Iran avance deux positions. L’une assez conciliante, consiste à dire que sauf en cas d’agression directe, Téhéran ne recourra pas à une intervention directe. L’Iran ne souhaite pas un embrasement régional sur son territoire. L’autre position est plus dure : l’Iran est un soutien actif du Hamas et se saisira du prétexte des attaques contre la population de Gaza pour des formes de soutien encore à définir mais qui passeront sans doute par l’allumage de contre-feux, par exemple au Liban. Tout le sud du pays est aux mains du Hezbollah, qui en tient la sécurité, joue un rôle social important via ses finances et est présent au Parlement libanais. Une résolution franco-américaine adoptée au Conseil de sécurité de l’ONU en 2005 demandait, déjà, la dissolution des milices armées, visant essentiellement en fait le Hezbollah. L’Iran est également impliquée en Syrie, où elle a ses forces spéciales liées aux Gardiens de la Révolution et où elle soutient le Hezbollah. L’Iran voudra faire partie de l’arrangement régional qui sortira de cet épisode de guerre et met déjà en garde contre des développements indésirables de son point de vue au Liban et en Syrie : le 17 octobre 2023, le ministre des Affaires étrangères Abdollahian a parlé de la possibilité « de nouveaux fronts contre le régime sioniste occupant » si l’offensive contre Gaza n’était pas stoppée.
La Turquie apporte également un fort soutien au Hamas, bien que de manière plus nuancée que l’Iran. Erdogan s’est drapé des couleurs de la vertu pour dénoncer le blocus de Gaza, condamner les bombardements, parler, même, de génocide – mêmes actes chaudement approuvés par Erdogan quand ils sont exécutés par Aliyev contre les Arméniens d’Artsakh- mais les sympathies turques pour le Hamas ne datent pas d’hier. Dès la fin des années 2000, le parti de l’AKP a travaillé très activement avec les Frères Musulmans présents dans toute une série de pays du Moyen-Orient, et leurs déclinaisons armées, dont le Hamas. Avec le temps, le soutien de la Turquie à des mouvances plus radicales et ouvertement terroristes s’est amplifié. En même temps, Erdogan et Netanyahu ont re-initié dialogue et assainissement des relations diplomatiques entre leurs pays cette année.
Que peut-on en tirer pour le Caucase du sud et l’Arménie ? Cet événement fait monter d’un cran le niveau de risques, déjà élevé, sur la région. Le Caucase du sud est en plein bouleversements depuis deux ans et l’architecture de sécurité qui liait jusqu’à 2021-23 l’Arménie et la Russie est de facto morte. L’Arménie est seule et non protégée. Deuxièmement, à l’échelle des problèmes et des sujets mondiaux et dans la compétition à la couverture médiatique, la part dévolue à l’Arménie, un conflit considéré comme mineur, s’est drastiquement réduite en 10 jours. Le monde ayant les yeux tournés ailleurs –même les Ukrainiens craignent d’être oubliés avec l’irruption de cette nouvelle guerre israélo-hamas-, l’Azerbaïdjan pourrait en profiter pour tenter une nouvelle agression contre l’Arménie. Cet argument systémique n’est pas faux, mais il est insuffisant en l’absence d’embrasement régional. Troisièmement, si les intérêts iraniens et israélo-américains clashent ouvertement en territoire iranien, la probabilité de ce scénario augmentera. La diplomatie arménienne doit mener un travail avec l’Iran et les Etats-Unis sur les risques pour la région d’un tel scénario. Le partenariat entre l’Azerbaïdjan et Israël a trois points d’intérêts forts pour Tel Aviv : surveiller et agir depuis l’Azerbaïdjan contre l’Iran ; avoir un allié musulman et turc pour contrebalancer le manque de fiabilité de la Turquie ; et acheter du pétrole azerbaïdjanais. Une escalade régionale impliquant l’Iran risquerait tout bonnement de faire de l’Arménie un dommage collatéral. A ce jour, les diplomaties ont l’air de travailler à contenir l’escalade. Dans la situation d’incertitude des prochains jours, les exercices militaires turco-azerbaïdjanais prévus du 22 au 25 octobre sont facteurs de vigilance accrue. Ils auront lieu dans les directions de Bakou, du Nakhitchevan et du Haut-Karabakh. Bakou sera moins enclin à signer quoique ce soit dans la situation actuelle, qui pourrait lui présenter de nouvelles opportunités.
Pour l’Arménie, le temps presse en termes de montée des risques. Ce constat, vrai depuis la fin de la guerre de 2020, ne cesse de gagner en urgence. Les secousses se rapprochent et l’Arménie est seule et non protégée. Le gouvernement arménien doit redoubler d’efforts dans la sécurisation du territoire et la mobilisation de sa société, non pour faire la guerre mais pour pouvoir se défendre en cas d’agression, comme ça a été le cas depuis ces trois dernières années. Les régions du Syunik, du Gegharkyunik et du Vayots Dzor sont des enjeux prioritaires. Les travaux de fortifications du territoire, la coopération et la coordination avec les associations civiles de la défense doivent être menées de front (par exemple, via l’organisation d’exercices très réguliers entre ces dernières et les forces armées) avec les transformations stratégiques, doctrinales et militaires des Forces Armées arméniennes. C’est difficile mais pas impossible de mener les deux de front pour peu que le modèle poursuivi soit celui d’une société et d’une armée qui fassent corps, où la défense soit de la responsabilité de chaque citoyen. L’Arménie a objectivement à faire face à des puissances hostiles qu’elle ne pourra même pas approcher en termes démographiques, territoriaux ou militaires. En revanche, elle doit chercher à tout prix à faire monter le prix des agressions contre elle de manière à ce que ses adversaires préfèrent la discussion à la guerre. Ce choix, c’est aux Arméniens à le faire et ils doivent le faire rapidement. Travailler sans relâche, être unis dans la défense d’une Arménie souveraine et indépendante. Personne n’assumera la responsabilité de ce choix ni ne fera ce travail à la place du peuple arménien. Les partenaires se trouveront en réponse à ces choix et à ces engagements