Ils ont beau avoir quitté l’Azerbaïdjan, travaillé en exil, fait leur doctorat dans des universités européennes, le régime policier de plus en plus répressif de Bakou les traque. En Azerbaïdjan, la période post-2020 se caractérise par un durcissement continu de la répression contre les voix dissidentes: activistes, universitaires, sans même parler d’opposants politiques. Certains sujets sont plus sensibles que d’autres: le Karabakh, l’Arménie ou les droits des minorités ethniques d’Azerbaïdjan, comme les Talishs.
Bahruz Samadov, trentenaire brillant, doctorant à l’Université Charles de Prague, s’est fait arrêter à Bakou le 21 août 2024. Après Iqbal Abilov, jeune chercheur d’origine talysh, arrêté fin juillet 2024, accusé de “travailler avec les services arméniens”, et Samad Shikhi, arrêté puis relâché après un témoignage visiblement extorqué contre Bahruz, le sort de Bahruz, accusé lui aussi de collaboration avec les services arméniens et de trahison, ne laisse pas d’inquiéter sa famille, ses amis, ses collègues.
L’arrestation de Bahruz Samadov: un signal fort contre les critiques du régime
Quand il est parti cet été rendre visite à sa famille à Bakou, Bahruz, jeune intellectuel, voix pro-paix, critique du régime azerbaïdjanais, n’ignorait pas qu’il pouvait être le prochain sur la liste. Ce doctorant à l’Université Charles de Prague est depuis plusieurs années parmi les voix qui portent à l’international dans la dénonciation de l’autoritarisme, du militarisme et du racisme qui caractérisent le régime Aliyev.
Son arrestation a été précédée d’une perquisition musclée à son domicile à Bakou, où les forces de l’ordre ont saisi ses effets personnels, y compris son ordinateur. La justification officielle de son arrestation repose sur une correspondance supposée avec des Arméniens, tous également soit des chercheurs soit des activistes pro-paix, pour lesquels il aurait rédigé des articles critiques sur le gouvernement azerbaïdjanais. Une trahison en bonne et due forme aux yeux du régime de Bakou.
Samad Shikhi, un autre intellectuel connu pour ses critiques du gouvernement, avait également été arrêté le 23 août, avant d’être relâché, un fait tout à fait exceptionnel. Un post apparu sur sa page Facebook quelques heures plus tard portait un témoignage contre Bahruz. Un schéma semblable s’est répété avec un autre analyste indépendant dans cette même séquence chronologique resserrée du 23 au 27 août 2024, ce qui laisse craindre la fabrication de faux témoignages contre Bahruz dans les jours à venir.
Iqbal Abilov: répression des représentants des minorités ethniques
Un mois avant Bahruz, Iqbal Abilov, un ethnographe talysh, a été arrêté sous des accusations similaires d’espionnage en faveur des Arméniens. Abilov, connu pour ses travaux sur les droits des minorités en Azerbaïdjan, a été accusé de trahison après avoir prétendument communiqué avec un historien arménien. Abilov est également l’un des fondateurs de l’Académie nationale Talish, une organisation scientifique enregistrée à Riga, qui a souvent publié des travaux sur la culture talish. L’arrestation d’Abilov est perçue comme une tentative de la part du régime d’étouffer toute revendication identitaire et de criminaliser l’étude des minorités. Abilov a été accusé d’avoir collaboré secrètement avec un intellectuel arménien, ce que sa famille et ses collègues universitaires ont vigoureusement démenti, dénonçant les charges comme étant fabriquées de toutes pièces.
Loin de l’image de “pays de la tolérance” véhiculée à grands coups d’affiches publicitaires et de campagnes de relations publiques financées par le clan Aliyev, la réalité est celle d’une répression sans relâche des dissidents, des minorités ethniques, talyshes notamment, régulièrement soupçonnées de “séparatisme” à la manière des Arméniens du Karabakh, en un mot de tous ceux qui osent lever la tête et dire autre chose que le discours politique officiel.
La série d’arrestations de Bahruz Samadov, Iqbal Abilov, et Samad Shikhi marque une intensification de la répression en Azerbaïdjan, la vague la plus sévère depuis des décennies. À l’approche de la conférence internationale sur le climat, la COP 29, qui aura lieu à Bakou au mois de novembre 2024, le silence sur la réalité des droits humains en Azerbaïdjan est de la complicité. Plus de 300 prisonniers politiques sont enfermés actuellement dans ce pays, y compris les Arméniens arrêtés au Haut-Karabakh en octobre dernier, sans compter les prisonniers de guerre détenus depuis 2020.