« Sur les raisons de notre échec et sur nos défis » est un ouvrage publié en Arménie qui examine une série de questions essentielles autour des facteurs diplomatiques,politiques et économiques de la guerre des 44 jours, de la défaite et des défis qui se posent à l’Arménie. L’analyse est menée par Hrachya Tashchyan, ancien diplomate de carrière, ayant évolué dans la hiérarchie du MAE depuis le milieu des années 1990, nommé à des postes d’ambassade clés pour les relations Arménie-Occident, à Bruxelles auprès de l’OTAN entre 2001 et 2006, puis à New York auprès des Nations Unies jusqu’en 2009, et de nouveau aux Etats-Unis de 2014 à 2018, cette fois à Washington. Au vu de cette large expérience, au lendemain de la révolution de velours, il est appelé par le nouveau Premier Ministre pour le conseiller personnellement sur les questions de relations extérieures de l’Arménie. Il quitte cette fonction quelques mois après la guerre des 44 jours et devient enseignant de relations internationales à l’université Slavonique à Erevan. Tashchyan situe son analyse sur le temps long de la diplomatie et des institutions de l’Arménie post-soviétique, mettant à profit à la fois sa connaissance de l’intérieur du fonctionnement du ministère des Affaires étrangères, de l’élaboration de la politique étrangère, mais aussi des continuités et ruptures entre diplomaties et politiques des quatre administrations successives (Ter Petrossian, Kocharyan, Sargsyan, Pashinyan), le tout appuyé sur une culture livresque en relations internationales qui nourrissent l’analyse du praticien.
Parmi les idées forces de l’ouvrage, le fait que le conflit du Haut-Karabakh ait été imprudemment laissé en suspens pendant 25 ans a rendu la guerre avec l’Azerbaïdjan inévitable. En termes de puissance militaire et de développement économique l’Arménie s’était faite distancer depuis la fin des années 2000. Les élites politiques arméniennes ont soit ignoré la modification de l’équilibre des forces entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan soit se sont défilées devant leurs responsabilités (Ndlr). En Azerbaïdjan, des facteurs profondément liés à la vie politique et sociale du pays ont contribué au déclenchement de la guerre et entretenu dans le peuple azerbaïdjanais le souhait d’une revanche.
La politique étrangère de l’Arménie et les dispositions prises en matière de sécurité au moment de son indépendance ont été manifestement mal calculées. Ces dispositions n’ont pas permis d’assurer la sécurité du Haut-Karabakh. Là où l’alliance Azerbaïdjan-Turquie était cohérente, forte et modernisatrice, l’Arménie ne disposait pas d’un équivalent de même qualité.
Le rejet par l’Arménie de la proposition de règlement du conflit du Haut-Karabakh présentée par le groupe de Minsk de l’OSCE en 1998 a été une erreur magistrale : dans les années 1990, l’environnement sécuritaire régional était assez favorable à l’Arménie et la période était celle d’un équilibre des forces international.
La situation dans la région du Caucase du Sud a radicalement changé après les opérations militaires menées par la Russie en Ukraine en 2014-2015. En conséquence, le rôle régional de la Turquie et de l’Azerbaïdjan s’est considérablement accru, fragilisant en retour les garanties sécuritaires de l’Arménie (qui reposaient de toutes façons sur un déséquilibre dans le partenariat avec la Russie, déséquilibre qui s’est creusé de manière continue depuis 2000, Ndlr).
La faiblesse des institutions est en cause également. Les indices de croissance politique, économique et sociale de l’Arménie, médiocres, reflètent le développement insuffisant du pays. Économie faible, armée qui ne s’est pas modernisée, reculs sur la démocratisation et l’économie de marché qui étaient pourtant au cœur des réformes lancées au moment de l’indépendance. Malgré les contraintes constitutionnelles, depuis des décennies, un mécanisme conférant à l’élite dirigeante un droit informel à la création de rentes s’est mis en place dans le pays. L’accès à la participation à la vie politique et économique du pays, ainsi que l’accès à la création des organisations nécessaires à cet effet, étaient limités par la classe dirigeante et le système clientéliste.
La guerre des 44 jours, puis le conflit entre la Russie et l’Ukraine qui a éclaté en février 2022 ont encore modifié la situation dans la région du Caucase du Sud, achevant de ruiner ce qu’il restait de sécurité à l’Arménie et laissant le pays sans aucune mesure de protection sérieuse contre la politique étrangère agressive de l’Azerbaïdjan, soutenue par son allié, la Turquie.
Il ne fait aucun doute que pour survivre dans la région, l’Arménie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour normaliser ses relations et signer des accords de paix avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Une nouvelle confrontation avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, dont les puissances respectives sont plusieurs fois ou dizaines de fois supérieures, serait catastrophique. L’Arménie doit également changer le paradigme de sa politique étrangère, paradigme vieilli qui repose sur la position hégémonique inégalée de la Russie dans le Caucase du Sud et la protection russe.
La diplomatie, aussi solide et résolue soit-elle, ne suffira pas à assurer la paix et la stabilité de l’Arménie. La modernisation des institutions politiques et économiques pour créer les conditions propices à une croissance à long terme permettant de devenir un pays compétitif dans la région est essentielle. Le seul moyen efficace d’atteindre cet objectif est de renforcer la démocratie, l’État de droit, la séparation des pouvoirs, le pluralisme et l’économie de marché, conclut l’auteur, appelant à libérer toutes les forces de la société pour lancer le moteur d’une destruction créatrice schumpétérienne.