Une nouvelle vague de répression contre les derniers remparts de la presse indépendante secoue Bakou. Cette semaine, Abzas Media et Kanal 13 ont été pris pour cible. Le 20 novembre, les forces de police ont perquisitionné les bureaux d’Abzas Media et appréhendé son directeur, Ulvi Hasanli, alors qu’il se rendait à l’aéroport. Le lendemain, la rédactrice en chef, Sevinj Vagifgizi, a pris un vol de retour pour Bakou en toute connaissance de cause, anticipant le même sort. Au moins quatre arrestations ont eu lieu dans la semaine du 20 au 27 novembre. Les accusations de financement étranger portées contre ces journalistes sont passibles de lourdes peines.
Abzas Media a attribué ces arrestations à une série d’enquêtes sur la corruption du président Aliyev et de certains fonctionnaires. Entre 2013 et 2015, la presse libre a été décimée en Azerbaïdjan. Ce pays occupe la 151e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2023. Des choix de politique étrangère figurent à l’arrière-plan de ces arrestations. La législation sur le financement des media, adoptée en 2021, est extrêmement restrictive. Mais les droits de l’homme ont été sacrifiés en pleine conscience pour l’énergie par l’Europe dans son accord de partenariat bilatéral de juillet 2022. Les ambassades française, allemande et américaine ont été vertement tancées pour leur hostilité à l’Azerbaïdjan, y compris pour être “pro-arméniens”. Les Arméniens d’Artsakh chassés et réfugiés en Arménie depuis deux mois seraient bien en peine de témoigner de ce favoritisme supposé.
Les autorités azerbaïdjanaises doivent libérer le directeur d’Abzas Media, Ulvi Hasanli, et permettre aux médias indépendants du pays de travailler librement, a déclaré le Comité pour la protection des journalistes lundi, le 20 novembre. La police de Bakou a arrêté Hasanli devant son appartement lundi matin. Officiellement, il est soupçonné d’avoir introduit illégalement de l’argent dans le pays, a déclaré Zibeyda Sadygova, son avocate. Plus tard, la police a perquisitionné l’appartement et les bureaux d’Abzas Media, affirmant avoir trouvé 40 000 euros (43 770 dollars) dans les locaux.
Dans une déclaration publiée sur Facebook, Abzas Media a déclaré que l’arrestation de Hasanli et la perquisition faisaient partie de la pression mise par le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, sur le média pour “une série d’enquêtes sur les crimes de corruption du président et des fonctionnaires qu’il a nommés”. “La perquisition des bureaux d’Abzas Media, l’un des rares médias azerbaïdjanais ayant encore l’audace d’enquêter sur la corruption officielle, et l’arrestation de son directeur Ulvi Hasanli semblent être une représaille”, a déclaré Gypsy Guillén Kaiser, directrice de la sensibilisation et des communications du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), basé à New York. Si Hasanli est reconnu coupable d’introduction illégale d’argent dans le pays, il risque jusqu’à huit ans de prison, selon l’article 206.3.2 du code pénal de l’Azerbaïdjan. Le 27 novembre, une nouvelle arrestation a visé Aziz Orujov, directeur de Kanal 13, la 1ère chaîne azerbaïdjanaise de télévision par internet, créée en 2008. Orujov avait déjà été arrêté en 2017 pour “entreprenariat illégal et abus de pouvoir”. Il avait été relâché un an plus tard. Les accusations portent cette fois sur des constructions illégales.
La législation locale n’interdit pas aux journalistes de recevoir des financements de l’étranger sur une base individuelle, via des contrats de service. Les rédactions peuvent également effectuer des travaux sur la base de contrats commerciaux. L’interdiction concerne le financement direct des dépenses des entités médiatiques : entretien des bureaux, paiement des salaires des employés, etc. Elle a été introduite le 30 décembre 2021 par une loi qui avait suscitée des critiques de la part des représentants de la presse indépendante d’Azerbaïdjan, des organisations internationales et avait reçu un avis négatif de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe. Mais les avis de cette commission sont quantité négligeable pour le gouvernement azerbaïdjanais et, plus grave, sans doute aussi pour l’Europe elle-même : dans le mémorandum sur le “partenariat stratégique entre l’Europe et l’Azerbaïdjan, y compris énergétique” signé en juillet 2022, les mots “droits de l’homme” sont notoirement absents.
Entre 2013 et 2015, la presse libre a été décimée en Azerbaïdjan. Perquisitions, arrestations et enquêtes criminelles se sont faites quasi-systématiques. Les bureaux de RFE/RL, MeydanTV, Voice of America et plusieurs autres groupes médiatiques locaux et internationaux opérant en Azerbaïdjan ont été fermés, avec des restrictions imposées aux activités de leurs journalistes. Plus d’une centaine de journalistes, militants et travailleurs d’ONG ont été arrêtés sous diverses accusations. Abzas Media est l’un des derniers médias indépendants ayant survécu. Plusieurs organisations internationales ont appelé le gouvernement à abandonner les accusations contre Abzas Media et à libérer son personnel. Le CPJ a envoyé des courriels au Département de police de Bakou, au ministère de l’Intérieur et au bureau du président de l’Azerbaïdjan pour demander des commentaires, mais n’a reçu aucune réponse. Les accusations contre Hasanli sont les mêmes que celles qui avaient visé le journaliste d’investigation Afgan Mukhtarli, enlevé dans une rue de Tbilissi en 2017.
Jusqu’à présent, seul le département d’État américain a exprimé sa “profonde préoccupation” face à l’arrestation du directeur d’AbzasMedia, et encore, seulement en réponse à une question de l’agence de presse azerbaïdjanaise indépendante Turan. D’autres, comme le ministre aux affaires européennes du gouvernement britannique, Leo Docherty, continuent de complimenter le président azerbaïdjanais. Lors de sa rencontre avec Aliyev le 22 novembre dernier, Docherty a exprimé son enthousiasme d’être “de retour à Bakou”, ajoutant quel “privilège” c’était de “discuter de la sécurité régionale” avec le président, sans un mot pour les journalistes arrêtés. L’Azerbaïdjan occupe la 151e place sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse 2023 établi par Reporters sans frontières.
Après les arrestations du 20 novembre, Abzas Media a publié une déclaration affirmant qu’ils continueraient leurs enquêtes et à informer la société. La petite communauté de journalistes, dont beaucoup sont à l’extérieur du pays, se mobilise en coulisses pour sauver Abzas et s’assurer que son travail ne soit pas vain. Leur mobilisation et leur persévérance sont un espoir ténu, mais essentiel pour l’avenir de la liberté d’expression en Azerbaïdjan.
Le climat de répression qui s’est encore durci depuis septembre 2023 contre les activistes et les journalistes azerbaïdjanais signale des inflexions potentiellement significatives dans la politique étrangère de l’Azerbaïdjan. Le 28 novembre, les Chargés d’affaires des États-Unis et d’Allemagne en Azerbaïdjan, ainsi que l’ambassadeur français, ont été convoqués séparément au ministère des Affaires étrangères azerbaïdjanais. Les ambassades de ces pays sont impliquées indirectement, accusées par le régime de financer de l’extérieur ces media gênants. Elles ont reçu des protestations vives du ministère des Affaires étrangères azerbaïdjanais pour leurs ingérences supposées dans les affaires intérieures de l’Azerbaïdjan et des accusations de réseaux d’espionnage entretenus et financés par les Américains bourdonnent dans les milieux considérés comme prooccidentaux à Bakou.
Un événement réunissant des alumni d’universités américaines a été annulé par les autorités, qui voient dans ces étudiants azerbaïdjanais ayant étudié aux États-Unis des nids d’espions. Les médias gouvernementaux azerbaïdjanais se sont faits les relais de ces rumeurs, diffusant des messages de propagande anti-américaine à bâtons rompus. Ces accusations sont la manifestation de certaines tensions apparaissant dans les relations entre les États-Unis et l’Azerbaïdjan, dont il est trop tôt pour évaluer la profondeur. Le conseiller du Président, Hikmet Hajiyev, avait twitté, le 21 novembre, “Les masques tombent. Il n’y a plus de place pour les opérations d’USAID en Azerbaïdjan.”