Par Anna Baghdasaryan
Azerbaïdjanaises et arméniennes sont de plus en plus nombreuses à s’engager pour la paix dans la région. Les femmes, et particulièrement les jeunes femmes, déplorent la surreprésentation masculine dans les pourparlers de paix depuis des décennies et y voient un frein à l’établissement de cette dernière. Focus sur quatre de ces militantes. Numéro 2 : Lida Minasyan.
En réponse à la guerre de 2020 du Haut-Karabagh, Lida Minasyan, jeune activiste et défenseure des droits de l’homme, cofonde l’ONG Women’s Agenda afin de donner des moyens aux femmes en Arménie de s’engager dans le travail pour la paix. « Nous avons analysé, avec ma collègue, les raisons de l’échec du mouvement féministe de la consolidation de la paix en Arménie. En fondant l‘ONG Women’s Agenda, nous avons voulu élever la résilience et le potentiel professionnel des femmes pour construire des communautés pacifiques et un avenir durable », raconte Lida. L’organisation a trois directions principales : promouvoir l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, renforcer le potentiel économique des femmes, et contribuer à la création d’opportunités égales et justes pour tous.
Après la guerre, certaines féministes, découragées, ont abandonné le militantisme pour la paix. La réaction de Lida a été exactement inverse. Persuadée que c’était le bon moment pour agir, qu’il ne fallait surtout pas abandonner, elle a voulu se servir de ses dix années de militantisme ainsi que de son expérience internationale afin de contribuer à ouvrir un horizon de paix dans la région.
La cofondatrice de l’ONG fait remarquer que les femmes en Arménie n’ont jamais été suffisamment impliquées dans les processus de négociations de paix. C’est pourquoi Women’s agenda se concentre actuellement sur l’engagement des femmes arméniennes – en particulier celles des régions limitrophes de l’Azerbaïdjan, comme les régions du Syunik et du Tavouch, dans les discussions aux niveaux local, national et international. Bien que les femmes représentent 52,2 % de la population arménienne – qui frôle à peine les trois millions d’habitants – leur représentation dans les processus décisionnels de haut niveau reste faible. « Monopolisée par les hommes, cette sphère a toujours été fermée aux femmes, ou bien les femmes politiques n’ont pas été pour la plupart des diplomates, car en général dans une société patriarcale, comme la nôtre, il y a beaucoup de stéréotypes liées aux attentes du rôle des femmes et des hommes politiques», explique Lida.
Conscient de l’énorme manque de connaissances du domaine, ainsi que de l’absence de mécanismes qui permettraient à la société civile d’avoir une quelconque influence dans les négociations formelles, Women’s Agenda a mis en place un projet de formation : « Nous formons actuellement un groupe de femmes, ayant des parcours et des expertises différentes ( activistes, spécialistes de paix ou des conflits, defenseures des droits de l’homme, représentantes des autoadministrations locales aux processus de négociation, selon leurs cercles d’intérêt ou leur domaine d’expertise. A travers des faits historiques ( éventuellement objectifs, hors ” propagande étatique ” ), nous leur présentons les processus de négociations autour du Haut-Karabakh, leur déroulement, leurs lacunes, les scénarios possibles et les perspectives. Nous essayons d’assurer la continuité et nous nous formons constamment grâce à différents spécialistes. Nous prévoyons également de coopérer avec l’Union européenne », explique Lida Minasyan.
L’autre priorité de Women’s Agenda est aujourd’hui la mise en place de la Résolution N 1325 du conseil de sécurité de l’ONU, (sur la paix et la sécurité des femmes ) au niveau des administrations locales. Cette résolution reconnaît l’importance de l’impact des conflits armés sur les femmes et garantit la protection et la pleine participation de celles-ci aux accords de paix.* « A travers différentes formations dans les régions d’Arménie, nous essayons de transformer le programme national sur 1325 en programmes locaux, ce qui permettra aux femmes d’avoir un rôle de leader dans la gestion des crises. De cette façon, ils feront partie des processus généraux de sécurité et de consolidation de la paix ».
Selon Lida, la crise humanitaire à laquelle fait face le Caucase du Sud à la suite du blocage en cours du corridor de Latchine, l’unique route reliant le Haut Karabagh à l’Arménie, accroît la nécessité de l’implication des femmes dans les processus de négociations, au moins dans leurs communautés․ « S’il y avait suffisamment de compétences en négociations, il serait possible que des dialogues locaux puissent commencer. Bien sûr, ce qui se passe actuellement au couloir de Latchine, complique nos activités. Nous voulons comprendre comment, tout en maintenant au maximum la sécurité, on peut penser à la coexistence avec l’Azerbaïdjan. Nous souhaitons faire en sorte que les deux sociétés se concentrent sur les nombreux avantages que nous pouvons avoir s’il y a la paix dans la région, sans problèmes de frontières. Mais à chaque fois qu’on fait face à une certaine escalade, il semble que toutes ces discussions possibles reculent de quelques pas ».
Lida Minasyan en est convaincue : il est nécessaire de créer une amitié entre les sociétés, mais de telles situations intensifient l’hostilité. Il y a d’autres phénomènes qui ont tendance à créer des obstacles artificiels aux actions de Women’s agenda : « D’une part la manipulation médiatique, d’autre part les tentatives de provocation et d’aggravation de l’hostilité entre les sociétés arménienne et azerbaïdjanaise par certaines forces », explique-t-elle. « Aujourd’hui, Il y a un vrai problème de l’éducation aux médias qui fait que les gens cèdent facilement aux provocations et aux manipulations ».
* Le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) a adopté le 31 octobre 2000 la résolution 1325 intitulée “Femmes, paix et sécurité”. Cette résolution est le premier document de ce type adopté par les Nations Unies, qui aborde de manière institutionnelle l’impact des conflits armés sur les femmes, l’implication des femmes dans la prévention des conflits armés, la résolution et les processus de consolidation de la paix. La résolution 1325 s’articule autour de cinq axes principaux : prévention, protection, participation, secours et relèvement, suivi.