Deux types d’actions collectives spontanées très différentes ont pu être observées ces derniers jours en Azerbaïdjan. Des villageois sortis pour exprimer leur mécontentement face aux dégradations environnementales de leurs lieux d’habitation ont été brutalement réprimés par la police. Quasiment au même moment et à quelques dizaines de kilomètres, des cimetières où reposent des combattants arméniens de la première guerre du Haut-Karabakh faisaient l’objet d’un défoulement haineux et enragé. Dans un pays marqué par l’irrespect des droits humains, l’intolérance à l’égard des minorités et une arménophobie institutionnalisée, l’avenir des 120000 Arméniens de la région du Haut-Karabakh, sous blocus depuis 7 mois, reste toujours aussi sombre.
Quelques dizaines de villageois de Soyudlu (district de Gadabay, à l’ouest de l’Azerbaïdjan et à la frontière avec l’Arménie) ont spontanément manifesté le 20 juin 2023 contre la pollution de leurs lieux d’habitation, engendrée par l’exploitation intensive et agressive de la mine d’or du même nom. Cette mine, aussi connue sous le nom de Sotk en arménien, était avant la guerre de 2020 contrôlée par les Arméniens du Haut-Karabakh, où elle constituait la première source de recettes fiscales pour la région. Elle est depuis passée pour plus de la moitié sous contrôle azerbaïdjanais. La partie restée en Arménie opère difficilement, les 700 ouvriers qui y travaillent se retrouvant fréquemment sous les tirs azerbaïdjanais. Avant la guerre de 2020, la société Anglo-Asian Mining avaient acquis les droits d’exploitation. Cette société, enregistrée au Delaware, et dirigée par Reza Vaziri, qui fut dans une autre vie, officiel du gouvernement iranien avant la Révolution islamique, a la particularité de n’opérer qu’en Azerbaïdjan. L’exploitation des mines dans ce pays est connue pour rapporter gros depuis des années à la famille Aliyev. Un article du “Organized Crime and Corruption Reporting Project”, paru en 2016, et auquel avait contribué la journaliste azerbaïdjanaise Khadija Ismayilova, met en lumière les mécanismes financiers et juridiques permettant cette prédation qui laisse les villageois “à sec”, dans tous les sens du terme.
Ces quelques dizaines de villageois sortis pour exprimer leur mécontentement ont été rapidement rejoints par la police anti-émeutes, qui a mis fin brutalement à la petite manifestation, à coups de gaz lacrymogène, gaz poivré et matraque. Mardi dernier, quinze personnes ont été blessées et cinq ont été arrêtées. Des vidéos provenant de Soyudlu montrent clairement la violence policière, notamment l’aspersion de gaz poivre au visage d’une femme âgée qui s’éloignait de la police anti-émeute. Des images ultérieures la montrent allongée au sol tandis que d’autres manifestants tentent de l’aider. Ces vidéos ont suscité la colère de nombreux Azerbaïdjanais, qui réclament des sanctions contre la police pour avoir fait usage de violence contre des manifestants pacifiques. Les manifestations se sont poursuivies le lendemain, avec cinq autres arrestations. En outre, un journaliste a été arrêté et trois autres ont été expulsés du village de Soyudlu pour avoir couvert les manifestations. Deux militants ont également été arrêtés pour avoir publié des critiques sur la réaction policière lors des manifestations.
Action bien différente à Vardashat, village arménien de la région de Hadrout, (en région autonome du Haut-Karabakh, sous occupation des forces azerbaïdjanaises depuis 2020), où des Azerbaïdjanais s’en sont pris aux pierres tombales des combattants arméniens de la première guerre du Haut-Karabakh. Les familles de ces combattants, réfugiées depuis 2020 en Arménie ou dans d’autres localités du Haut-Karabakh où subsiste encore une présence arménienne, redoutaient de voir arriver le jour où les tombes de leurs proches seraient nettoyées.
Alors que l’Azerbaïdjan tente de convaincre le monde et, au premier chef, les Européens que son projet pour les Arméniens du Haut-Karabakh est de les “intégrer”, qui a le droit de leur demander de renoncer aux droits et aux libertés individuelles qu’ils ont construits pendant 30 ans pour se soumettre à un régime qui d’un côté réprime des manifestants désarmés et de l’autre cautionne la violence et la haine contre les Arméniens, même morts ? Le combat contre l’intolérance et l’autoritarisme qui unit la France et l’Europe a plusieurs lignes de front. L’une d’entre elles passe en Arménie et au Haut-Karabakh.