Visite du président Erdoğan en Égypte : un nouveau départ ?

18 mois : c’est le temps qu’il aura fallu entre les premières déclarations d’apaisement et la visite au plus haut niveau au Caire. La visite hautement médiatisée du président turc Recep Tayyip Erdoğan le 14 février dernier marque un tournant potentiel dans les relations turco-égyptiennes. Après une pause de douze ans, cette rencontre entre Erdoğan et son homologue égyptien, Abdel Fattah El-Sissi, est perçue comme un moment charnière, susceptible de redéfinir les axes de coopération entre les deux nations dont les relations avaient cessé depuis la chute du président Morsi en 2011.

Les sujets de discorde n’ont jamais manqué entre l’ancien Empire ottoman et l’Égypte. Ancienne conquête ottomane, l’Égypte manifesta dès la fin du 18ème siècle son désir d’autonomie avec le retournement de Mohammed Ali pacha. Le rôle de l’Islam, à la fois point de convergence et de divergence via l’émancipation d’un islam arabiste dans la construction d’une identité nationale égyptienne, illustre cette disjonction. La nation égyptienne, le watan, se démarque progressivement de la présence turque. Préférant la ruse et la flatterie à la guerre, le petit-fils de Mohamed Ali finira par faire reconnaître une forme d’autonomie à l’Égypte et un pouvoir dynastique émanant de sa personne. Depuis lors, même les sujets de rapprochement se situent en eaux troubles. C’est le cas du soutien aux Palestiniens dans l’épisode actuel du long conflit israélo-palestinien : avec ou sans les Frères musulmans, parrains du Hamas ? Néanmoins, l’heure est à l’élargissement des horizons de coopération, en particulier sur le plan militaire, reflétant une prise de conscience des enjeux stratégiques partagés, tant dans la région méditerranéenne qu’en Afrique.

Le 14 février dernier, les deux dirigeants ont affiché une volonté commune de tourner la page sur une période de tensions et de mésentente, pour entamer un chapitre prometteur de la diplomatie régionale. L’accueil chaleureux réservé à Erdoğan et à la première dame par le président El-Sissi lui-même témoigne de l’importance que l’Égypte accorde à cette visite. Le choix d’Erdoğan de voyager à bord d’un Boeing 747, plutôt que de son habituel avion plus modeste, n’a pas manqué de souligner l’ampleur de l’événement. Au cœur des discussions, les deux pays ont exprimé un désir mutuel d’approfondir leurs liens à travers une multitude de dimensions, englobant les domaines politique, diplomatique, économique et militaire. Cette volonté d’élargir les horizons de coopération reflète une prise de conscience des enjeux stratégiques partagés, tant dans la région méditerranéenne qu’en Afrique.

Parmi les annonces les plus significatives, l’accord sur l’établissement d’une usine de production de munitions en Égypte par la Turquie, ainsi que l’achat par l’Égypte de chars, de missiles et d’autres équipements militaires turcs, marquent un pas considérable vers une intégration défensive et militaire entre les deux puissances. Ces développements suggèrent non seulement un renforcement des capacités militaires bilatérales, mais également une volonté de jouer un rôle plus actif et concerté sur la scène géopolitique régionale. La perspective d’exercices militaires navals conjoints et la déclaration commune sur la volonté de participer à la restauration de la bande de Gaza illustrent la profondeur et l’ambition du partenariat renouvelé entre Ankara et Le Caire. Cette collaboration étendue, réalisée sans la médiation extérieure de pays comme le Qatar ou les États-Unis, souligne l’autonomie et l’importance stratégique de l’axe turco-égyptien dans la gestion des affaires régionales.

Au-delà des aspects militaires et de défense, cette visite historique ouvre la voie à une collaboration accrue en matière économique, culturelle, et au-delà, posant les fondations d’une alliance régionale renforcée capable de faire face aux défis communs et de promouvoir la stabilité et la prospérité dans la région. L’engagement d’Erdoğan et d’El-Sissi à redéfinir les contours de leur relation bilatérale pourrait signaler un nouvel équilibre des forces en Méditerranée et au-delà, avec des implications qui résonneront bien au-delà des frontières de leurs nations respectives.