Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a effectué une visite de travail en République d’Arménie mercredi 21 mai. Un déplacement particulièrement scruté vue la relation paradoxale entre les deux pays. S’il fallait résumer d’une phrase le contenu des déclarations publiques des deux ministres des Affaires étrangères, on pourrait dire que la Russie et l’Arménie sont d’accord qu’elles ne sont pas d’accord sur à peu près tout, sauf sur la nécessité de ne pas envenimer davantage leur relation et de respecter une forme de statu quo, pour bancal soit il.
Tandis que l’Arménie tente tant bien que mal de restaurer sa souveraineté en diversifiant ses relations, ses partenariats et ses orientations, la Russie fait au contraire son possible pour maintenir l’Arménie dans une situation d’isolement, de précarité et d’incertitude, comptant sur des capacités de pression renouvelées lorsqu’elle aura terminé la guerre contre l’Ukraine. La bataille pour la souveraineté de l’Etat arménien se joue dans la relation avec la Russie. Sur le plan du calendrier, marquez le printemps 2026 comme un moment particulièrement important de cette bataille. D’un côté, les élections parlementaires en Arménie promettent d’être le théâtre d’une débauche de moyens directs et indirects “d’ingénierie sociale”, dont une grande partie sont dans les mains de la Russie ou de ses “clients”, à l’instar de ce qui s’est passé en Géorgie ou en Moldavie en 2024. De l’autre, Erevan a annoncé le 23 mai, qu’elle accueillerait le 8ème sommet de la Communauté Politique Européenne. La CPE, plateforme intergouvernementale initiée en 2022 par la France, réunit les Etats membres et leurs voisins immédiats autour d’un large panel de sujets concernant leurs relations.
Une coopération qui perdure malgré les tensions
La journée diplomatique a débuté par un entretien en tête-à-tête entre Lavrov et son homologue arménien, Ararat Mirzoyan, au ministère arménien des Affaires étrangères. Elle s’est poursuivie par des discussions élargies avec les délégations, avant une conférence de presse conjointe. Lavrov a ensuite rencontré le président de l’Assemblée nationale Alen Simonyan, puis le Premier ministre Nikol Pashinyan.
Lors de la conférence de presse, Ararat Mirzoyan a salué une rencontre « constructive, complète » et a souligné la volonté de l’Arménie de maintenir un dialogue politique honnête et efficace avec la Russie.
Mirzoyan a noté des différences d’interprétation profondes et durables sur certains sujets fondamentaux, notamment en matière de sécurité. Néanmoins, le chef de la diplomatie arménienne a rejeté l’idée d’un « reformatage » des relations avec la Russie, affirmant que les obligations bilatérales restent en vigueur. Cependant, il a exprimé de vives critiques sur le fonctionnement de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), rappelant que l’Arménie avait gelé ses activités au sein de l’alliance en raison de l’absence de réponse satisfaisante de ses partenaires à l’agression de l’Azerbaïdjan contre son territoire souverain en 2022.
Le ministre russe a pour sa part maintenu que l’OTSC et la Russie avaient répondu de manière satisfaisante et dans le respect de leurs obligations.
L’héritage soviétique et la nouvelle donne que Erevan souhaite avec ses voisins
Mirzoyan a rappelé que l’Arménie reconnaît l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan suivant en cela la Déclaration d’Alma-Ata de 1991, y compris la région du Haut-Karabakh, et que cette reconnaissance doit être réciproquée par Bakou, vis-à-vis des frontières internationalement reconnues de l’Arménie.
Lavrov, a de son côté, insisté sur la solidité des liens historiques et culturels entre l’Arménie et la Russie. Il a réaffirmé l’attachement de Moscou à une résolution régionale fondée sur la participation active des pays du Caucase du Sud, soutenant la tenue prochaine de rencontres au format « 3+3 », incluant les pays de la région avec l’Iran, la Turquie et la Russie. Pour l’Arménie, ce format est pertinent et important, à condition que la priorité soit donnée d’abord au premier cercle de 3 (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie), puis seulement aux 3 ex-Empires.
Entre pression intérieure et diplomatie d’équilibre
La visite de Lavrov s’est déroulée sur fond d’une manifestation du parti d’opposition « Pour la République » devant le ministère des Affaires étrangères.
Interrogé sur cette opposition populaire, Mirzoyan a répondu avec mesure, saluant le développement des institutions démocratiques arméniennes tout en défendant la décision d’accueillir Lavrov avec les égards dus à un partenaire historique. Il a rappelé que l’Arménie avait payé un lourd tribut lors de la Seconde Guerre mondiale et que sa participation au défilé du 9 mai à Moscou était un hommage à cette mémoire collective, et non une prise de position géopolitique.
Relations économiques : un équilibre délicat
Face aux interrogations sur une éventuelle intégration européenne de l’Arménie, le ministre arménien a clarifié : « L’Arménie n’a pas déposé de demande d’adhésion à l’Union européenne ». Il a tenu à souligner qu’il n’existe pas, en l’état actuel des choses, de contradiction entre la coopération avec l’UE et celle avec l’Union économique eurasiatique, dominée par la Russie, affirmant que la politique étrangère arménienne ne vise pas à créer de tensions régionales.
Les parties ont réaffirmé leur attachement à un dialogue constructif et à la préservation de la stabilité régionale malgré les divergences de vues apparues ces dernières années.
Un statu quo précaire et à durée limitée mais dont les vertus pragmatiques sont indéniables.