Perspectives indiennes sur les relations avec l’Arménie

Drapeaux de l’Arménie et de l’Inde

Par Taline Papazian

La communauté indienne d’Arménie est en train de se structurer. Elle compte une association d’amitié arméno-indienne, fondée en 2011, ainsi qu’un centre culturel. L’afflux de milliers de migrants indiens, étudiants et travailleurs, peut soutenir les coopérations entre l’Inde et l’Arménie. Rananjay Ananti, un des fondateurs de l’association d’amitié arméno-indienne, était invité à la conférence « Carrefour de la paix ». Il a pris la peine de présenter le point de vue de l’Inde sur les relations entre les deux pays à la télévision publique arménienne.

Début décembre 2023, une conférence sur le projet « Carrefour de la paix », organisée par le gouvernement arménien, réunissait des diplomates, des experts et des hommes d’affaires indiens, iraniens, géorgiens et turcs. Ce projet est la version grand public de la vision portée par le gouvernement arménien pour l’avenir de la région caucasienne, une fois un traité de paix signé et -c’est le plus important- appliqué. Sans parler ici du contenu économique du projet, le gouvernement arménien a raison de présenter, et même de marteler, sa vision pour la région assortie de propositions concrètes pour des projets impliquant des partenaires multiples, régionaux et globaux, afin de garder un certain degré d’attention et d’implication de pays qui comptent.

Les relations entre l’Inde et l’Arménie ont commencé dans les années 2010 par des rencontres culturelles et commerciales entre des représentants des deux pays. Le Premier ministre indien prend en compte non seulement la géographie et la sécurité, mais aussi l’histoire de l’Inde avec chaque pays, précise R. Ananti. La construction de liens entre l’Inde et l’Arménie est facilitée par une histoire longue de la communauté arménienne en Inde, petite, mais particulièrement intéressante. Il existe également, d’après Ananti, des ressemblances entre les deux peuples. Les Arméniens sont « un mélange entre orient et occident », dit-il. Les Arméniens sont « un peuple spirituel, religieux et traditionnel. En même temps, votre manière de vivre est très semblable à celle des Occidentaux. Les Indiens comme les Arméniens accordent une grande importance au foyer et à la famille. Les Arméniens sont respectueux des traditions familiales. Je peux aussi observer des ressemblances physiques. L’Inde est un pays très varié. Les populations du nord de l’Inde sont assez semblables aux Arméniens. »

Les flux de migrations entre l’Inde et l’Arménie sont assez significatifs eu égard à la petite population arménienne et au fait que l’Arménie n’est traditionnellement pas un pays d’immigration, hormis pour les communautés arméniennes en danger, qu’elle peine d’ailleurs bien à retenir. En retour, les Arméniens sont plus nombreux qu’avant à aller en Inde. Il faut approcher les relations avec l’Inde dans une perspective globale. L’Inde est le pays le plus densément peuplé du monde et les deux tiers de ses habitants ont moins de 30 ans. Les compétences de la population jeune et active de l’Inde sont donc au centre de l’attention du gouvernement indien. La population active et la part de la classe moyenne augmentent. Le nombre de migrants indiens dans le monde est autour de 50 millions. Partout, les Indiens participent à la croissance des économies locales. Pour Ananti, la présence des Indiens en Arménie est extrêmement positive et peut amener beaucoup en termes de savoir-faire dans différents secteurs, à condition que cette immigration soit strictement encadrée par la loi. L’attention portée à la coopération militaire est forte, ce qui s’explique par la situation régionale. Mais d’autres secteurs sont aussi prometteurs : la pharmacie, le travail des diamants dans lesquels l’Inde est très performante et le spatial. L’Inde est prête à partager son savoir-faire avec les pays amis au nombre desquels elle compte l’Arménie, dit Mr Ananti.

Point important : les voies de transports. « Si vous regardez les voies du monde, vous verrez que beaucoup vont en Inde. L’Arménie peut faire partie de cela. » Le port de Tchabahar (sud de l’Iran) est une zone franche et le meilleur point d’accès de l’Iran à l’océan indien ; et le corridor nord-sud dans lequel l’Arménie est impliquée, est important pour l’Inde. Mr Ananti dit également s’intéresser au projet de« port sec » de Gyumri, où il verrait l’Inde avoir un rôle de premier plan et faire de l’Arménie un hub pour les produits indiens qui pourraient être exportés vers les pays de l’Union douanière comme les pays européens.

La situation sécuritaire dans la région est un des facteurs de la croissance rapide des relations dans les deux dernières années. L’Inde soutient l’Arménie dans sa volonté de sortir de sa situation de vulnérabilité pour parvenir à une paix régionale. « Nous comprenons que la paix en dépend. L’Inde est au Caucase du Sud pour créer plus d’équilibre. L’Inde a aussi ses intérêts nationaux à cœur en le faisant, » rappelle Ananti. Les relations très étroites entre l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Pakistan ont des expressions négatives vis-à-vis de l’Inde. L’Inde a des « inquiétudes pour son intégrité territoriale » liées au Cachemire, où le Pakistan joue la carte de la déstabilisation y compris par le terrorisme. Le Pakistan, l’Azerbaïdjan et la Turquie tentent régulièrement de provoquer l’Inde en utilisant différentes plateformes, y compris l’ONU, rappelle-t-il. Pour cette raison aussi, parvenir à équilibrer les relations dans cette région du Caucase est tout à fait important.

Mais l’Inde ne se présente comme l’ennemi de personne dans cette région, précise-t-il enfin, et nos relations avec les autres pays de la région sont assez équilibrées. Si vous observez bien l’Inde, ce pays a une position assez singulière dans le monde : c’est un pont entre des extrêmes, par exemple la Russie et les États-Unis avec qui nous avons des relations stratégiques ; l’Iran et Israël. L’Inde est un pays porteur de paix entre des pays tout à fait hostiles les uns aux autres, résume Ananti. À la région du Caucase, l’Inde propose une approche concrète, par projets, et inclusive.