L’œil du cartographe sur les prétentions territoriales azerbaïdjanaises

La carte administrative de la RSS d’Arménie de 1975

Par Taline Papazian

L’œil de Rouben Galitchyan, cartographe, est précieux pour remettre quelques faits à leur place. Né en Iran, en 1938, Galitchyan a passé une partie de sa vie à Londres. Il est l’auteur de plusieurs atlas historiques des Arméniens par les cartes. Son approche historiographique critique des nationalismes au Caucase du Sud via la cartographie et sa connaissance des cartes conservées aux Archives nationales méritent d’être connues d’un plus grand public. Résumé des principaux éléments de l’interview qu’il a donnée à la télévision publique arménienne le 15 janvier 2024.

En 1926-27, la carte de l’Arménie soviétique publiée dans la Grande Encyclopédie soviétique faisait près de 31 000 km². Face aux « 8 villages » réclamés par l’Azerbaïdjan, comme ayant été donnés à l’Arménie pendant la période soviétique -dont 4 se trouvent dans des enclaves-, l’Arménie doit rappeler que l’administration soviétique a donné plus de 1200 km² de territoires à l’Azerbaïdjan soviétique entre 1927 et 1939 (en plus d’Ardzvachen, le petit lac d’Al au-dessus de Djermoug et 500 km² autour du lac Sev). Les premières enclaves azéries apparaissent sur les cartes de 1932.

Dans les mêmes années, l’administration soviétique a créé une unité administrative autonome kurde de 700 km² en Azerbaïdjan soviétique –le Kurdistan rouge-, en assemblant des portions de territoires de Lachine, Kelbadjar et Kubatli plus des portions prises à l’Arménie soviétique autour du Lac d’Al. La région fut remaniée puis liquidée au tout début des années 1930. L’ensemble du territoire est resté en Azerbaïdjan soviétique.

En 1991, l’Arménie, cette fois sur la base des dernières cartes des années 1975-1977, fait 29 800 km². Les frontières internes entre républiques soviétiques sont devenues en 1991 des frontières internationalement reconnues sur la base desquelles les anciennes républiques soviétiques ont été admises à l’ONU et ailleurs. Ilham Aliyev ne connaît pas la frontière séparant l’Azerbaïdjan de l’Arménie. Les forces armées azerbaïdjanaises occupent depuis 2021 et 2022, 200 km² de territoire en Arménie sur des positions stratégiques. Aliyev souhaite légaliser cette occupation dans un traité qui ne mentionnerait pas d’accord de principe sur la délimitation. Dans le cas d’un traité sans principe mutuellement reconnu pour la future délimitation, Aliyev veut se laisser la possibilité de revendiquer aussi loin qu’il le souhaitera, jusqu’à déterrer les demandes de la délégation azérie de 1918 à la Ligue des Nations. Certains Arméniens ne se priveraient pas de faire de même.

Prendre 1991 au moins comme base d’un traité paraît la seule voie possible à moins d’ouvrir une boite de Pandore. On peut imaginer un travail de nombreuses années pour étudier les détails de toutes les modifications territoriales dans les deux sens. Mais certaines questions pourraient se régler de manière simple, peut-être pas la plus juste historiquement, mais pratique et dans l’intérêt des populations : formaliser l’existant pour les enclaves azéries restées en Arménie après 1991 et l’enclave arménienne d’Ardzvashen restée en Azerbaïdjan après 1991. Les superficies sont quasi-égales. L’autre solution serait un échange. Mais des problèmes pratiques très compliqués pourraient surgir, tenant aussi bien aux possibilités de circulation pour les résidents qu’au tracé des routes pour les Azéris comme pour les Arméniens. Les Arméniens ont tout à fait de quoi répondre aux prétentions azerbaïdjanaises et doivent le faire dans l’intérêt même du processus de négociations.