L’Azerbaïdjan et la Russie, main dans la main contre la souveraineté arménienne

Le 15 juin 2023, un groupe de militaires du service des gardes-frontières d’Azerbaïdjan a tenté d’avancer au-delà du check-point qu’ils avaient établi le 23 avril dernier au pont Hakari, situé à l’entrée de la nouvelle route du couloir de Lachine, à la frontière entre le Haut-Karabakh et l’Arménie. Une vidéo montre comment les forces d’interposition russes, et notamment leur commandant Alexander Lentsov, ouvrent le passage devant les soldats azerbaïdjanais qui entrent ensuite sur le territoire de l’Arménie où ils tentent de planter un drapeau azerbaïdjanais, avant d’être repoussés par les troupes arméniennes. Avec cet épisode, la Russie franchit un pas dans la démonstration que ses intérêts et ceux de l’Arménie divergent ouvertement sur le sujet fondamental qu’est la souveraineté de l’Arménie.

Ces trois dernières semaines, les violations du cessez-le-feu se sont faites extrêmement fréquentes aussi bien sur la ligne de contact au Haut-Karabakh qu’à la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie (est et ouest), voire quotidiennes. Mais ce qui s’est passé à Hakari le 15 juin se distingue par le rôle qu’y ont joué les forces russes sur place. Vers 8h40, un groupe de soldats du service des gardes-frontières de l’Azerbaïdjan a tenté d’avancer au-delà du pont Hakari pour placer un drapeau sur le territoire de la République d’Arménie. Grâce aux mesures prises par la partie arménienne, les mouvements des militaires azerbaïdjanais et leur tentative de hisser un drapeau sur le territoire de l’Arménie ont été empêchés à deux reprises. La vidéo montre les soldats russes, qui ont un rôle d’interposition et de “maintien de la paix”, ouvrir le passage aux troupes azerbaïdjanaises vers le territoire de l’Arménie, sinon les escorter. En réponse à ces “provocations arméniennes”, l’Azerbaïdjan a suspendu les seuls convois qui passaient encore par le couloir de Latchine -au compte-gouttes depuis décembre 2022 – de et vers le Haut-Karabakh : malades et biens de première nécessité, y compris les évacuations prévues par la Croix Rouge. Les autorités azerbaïdjanaises ont déclaré que cette mesure serait maintenue “jusqu’à ce qu’une enquête complète soit menée sur les événements survenus ou que l’Arménie assume l’entière responsabilité de la provocation”. Le lendemain, Bakou justifiait du droit à planter son drapeau sur le territoire en question en arguant que: “le pont a été construit tout récemment par l’Azerbaïdjan et dire que le drapeau a été dressé sur le territoire de l’Arménie est sans fondement.” La politique du fait accompli de l’Azerbaïdjan passe par un aménagement -sans compter et très rapide- du territoire, depuis novembre 2020 dans la région du Haut-Karabakh, et depuis mai 2021, sur le territoire de l’Arménie.

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A Djermoug, les fortifications des positions conquises par l’attaque de septembre 2022 sont visibles à l’œil nu.  A ceux qui s’étonneraient de cette logique -après tout, c’est un peu comme si votre voisin venait construire un pont entre vos deux jardins, contre votre volonté, et qu’il prétendait ensuite que puisqu’il a construit ce pont, votre jardin est à lui-, rappelons que le président azerbaïdjanais avait déclaré, en janvier 2023, concernant le processus de délimitation de la frontière avec l’Arménie : “la frontière passera où nous l’aurons décidé”.

La Russie : le “véritable médiateur et ami”

L’ambassadeur de Russie en Arménie, Sergey Kopyrkin, a été convoqué au ministère arménien des Affaires étrangères à la suite de l’incident survenu le 15 juin 2023 sur le pont Hakari pour s’expliquer. La partie arménienne a exprimé son vif mécontentement face à cet incident et a demandé à la Russie de prendre toutes les mesures nécessaires pour clarifier les circonstances de l’incident et corriger la situation. C’est tout à fait inédit et ne débouchera sur rien, mais illustre le niveau de tension croissant entre la Russie et l’Arménie. Aucune mention de cette rencontre sur le site officiel de l’ambassade de Russie en Arménie.

Le 16 juin, les forces armées azerbaïdjanaises ont ouvert le feu sur une usine métallurgique américano-arménienne en construction à Yeraskh, près de la frontière du Nakhichevan, blessant deux travailleurs d’origine indienne. Matthew Miller, porte-parole du département d’État américain, avait tweeté le 14 juin dernier : “Nous sommes profondément préoccupés par le fait que deux employés civils d’une société affiliée aux États-Unis en Arménie ont été blessés par des tirs provenant de l’Azerbaïdjan. Nous réitérons notre appel à la retenue le long des frontières, alors que les parties s’efforcent de parvenir à une paix durable et équilibrée.”  

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Et c’est aux Américains que Moscou a répondu en premier, aux Arméniens en second. Lors de son point-presse hebdomadaire, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a dit: ” Il y a beaucoup de gens qui veulent être des médiateurs externes, ce qui ne fait qu’aggraver la situation. Mais nous comprenons aussi pourquoi cela est fait : depuis 2020, les mesures proactives prises par la Fédération de Russie en tant que véritable médiateur et véritable ami de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, qui souhaitent réguler cette situation, ont probablement provoqué un certain choc et une certaine panique. (…) Nous comprenons très bien que ceux qui ne souhaitent pas la paix, la stabilité et la prospérité dans cette région sont précisément ceux qui agissent aujourd’hui sous le couvert de médiateurs externes.”

Les parties engagées dans les négociations, et en particulier les parties européennes et américaines, sont appelées depuis des mois par les autorités du Haut-Karabagh et d’Arménie à venir sur place se rendre compte de la situation. Si l’Azerbaïdjan refuse l’accès au Haut-Karabakh, aller jusqu’à l’entrée du couloir de Lachine pour dire ce qu’il en est, est non seulement possible mais nécessaire. Ne pas le faire est un choix qui relève de la responsabilité des partenaires occidentaux qui ont endossé une médiation nécessaire et bienvenue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan; mais qui s’avérera vaine et détruira toute chance de paix dans l’œuf sans pression forte et systématique sur l’Azerbaïdjan. A moins que la politique de nettoyage ethnique “soft” du Haut-Karabakh par Bakou ne fasse partie des solutions acceptables pour ces médiateurs?