Le 31 août 2025, les gouvernements arménien et chinois ont signé un communiqué commun sur l’établissement d’un partenariat stratégique, marquant une étape décisive dans les relations bilatérales. Cet accord s’inscrit dans la continuité directe du mémorandum « sur la promotion de la coopération dans la construction de la ceinture économique de la Route de la soie », signé dix ans plus tôt, le 25 mars 2015 à Beijing, dans le cadre de la Commission mixte arméno-chinoise sur la coopération commerciale et économique1 Lien vers le communiqué.
Le dilemme de Malacca et la quête chinoise d’alternatives terrestres
Cette démarche répond à une préoccupation stratégique majeure de Pékin depuis le début du XXIème siècle : le « dilemme de Malacca ». Cette vulnérabilité, induite par la dépendance critique de la Chine au détroit de Malacca – qui voit transiter une très large partie des importations et exportations maritimes chinoises –, a motivé dès 2013 la conception des nouvelles routes de la soie. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a intensifié ces réflexions stratégiques, conférant au « Middle corridor » une importance renouvelée dans l’architecture d’une géographie stratégique chinoise.
En septembre 2024, lors de la 8ème International Silk Road Expo, la Chine a officialisé son intention de rejoindre le consortium ferroviaire fondé en 2023 entre le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, et la Géorgie. Confrontée à cette recomposition régionale, l’Arménie, qui se trouvait en périphérie de ces évolutions, déploie désormais une stratégie active pour s’insérer dans cette architecture émergente. Le pays a ainsi présenté à la Chine son projet « Crossroads of Peace », qui prévoit la construction de nouvelles infrastructures routières destinées à relier l’Arménie à ses pays voisins.
Dans l’architecture des réseaux ferroviaires du Middle corridor, ces routes représenteraient, si elles aboutissent, une option secondaire stratégique pour la livraison de marchandises régionales et le transit international. Néanmoins, l’enjeu demeure entier pour l’Arménie : parvenir à s’insérer efficacement dans ces dynamiques qui, en attendant, continueront de fonctionner sans elle.
L’Asian Infrastructure Investment Bank, instrument financier de l’influence chinoise.
Cette signature scelle une politique chinoise à l’œuvre depuis plusieurs années, caractérisée par une présence croissante dans la région. En 2016, Beijing a créé l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), une banque de développement spécifiquement destinée au financement de projets d’infrastructures. Avec 30% du capital, la Chine en demeure le contributeur principal et abrite son siège dans la capitale. L’Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, déjà membres, ont bénéficié de financements substantiels – à hauteur de centaines de millions d’euros – dans des domaines variés, notamment le transport et les énergies.
Par cet accord, la Chine a « salué l’adhésion de l’Arménie à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), et se tient prête à approfondir la coopération avec la partie arménienne dans le cadre de l’AIIB, et à soutenir conjointement l’AIIB afin qu’elle réponde au mieux aux besoins de ses membres en développement en matière de construction d’infrastructures et de développement durable »2Déclaration du 31 août. Disponible sur : Lien vers le site. Il est largement probable, dans ce cas que la Chine, via l’AIIB, participe au financement de la construction de ces nouvelles routes.
Une intensification spectaculaire des échanges économiques.
Les liens économiques et commerciaux entre l’Arménie et la Chine ont connu un renforcement constant ces cinq dernières années, comme l’illustre l’évolution de leur balance commerciale. La forte augmentation des exportations en 2024 s’explique principalement par le phénomène du « gold rush » : entre octobre 2023 et mai 2024, l’Arménie a réexporté de l’or en provenance de Russie. Pour contourner les sanctions internationales, Moscou avait mis en place un régime de droits d’exportation spécifique, permettant la réexportation aurifère via des pays tiers, dont l’Arménie. En 2024, l’Arménie a réexporté celle-ci vers les Émirats arabes Unis (62%), Hong Kong (26,4%), et le reste de la Chine (11,5%)3À ce sujet, voir l’étude suivante : CHERVYAKOV Dmitry, GIUCCI Ricardo, FANYAN Haykaz, PETROSYAN Armine. “Armenia’s “gold rush”: reasons and economic implications ». German Economic Forum. Octobre 2024. Lien vers l’étude.. Alors que la Chine ne représentait que 0,4% des exportations d’or arméniennes en 2023, ce métal précieux représente 41% du total des exportations vers le pays en 2024
Ces données, exceptionnellement élevées, ne pourront a priori pas être maintenues en 2025, le régime spécial ayant été annulé par la Russie à la fin du mois d’avril 2024, faute de générer les revenus escomptés4À ce sujet, voir notamment les travaux de Haykaz Fanyan : “Armenia’s gold trade decline raises questions about economic sustainability” Civilnet. 15 mai 2025. Lien vers l’article. Au-delà de ces flux exceptionnels, deux évolutions structurelles méritent attention : la progression constante des importations chinoises et l’intensification de la présence arménienne dans les foires commerciales en Chine. Cette montée en puissance est formellement reconnue dans le communiqué, qui salue la « participation active de la République d’Arménie » aux principales plateformes économiques chinoises, de l’Exposition internationale d’importation de Chine à la Foire de Canton.
Les récents développements laissent entrevoir une ambition chinoise de devenir un médiateur privilégié dans la pacification du Caucase. Révélatrice de cette stratégie, la ville portuaire de Qingdao – qui abrite le 4ème port de conteneurs mondial – a signé en 2023 des accords de jumelage avec Erevan et d’amitié avec Gandja5« Qingdao hosts parallel SCO forums » China Daily. 15 juin 2023. Lien vers l’article.. Cette plateforme pourrait donc devenir un espace de rencontre entre officiels arméniens et azerbaïdjanais, illustrant l’approche chinoise de « diplomatie des villes »6À ce sujet, voir notamment : HOU Changkun et FU Qinwen. “A Study in the City Diplomacy of the Silk Road Cities ». International Relations and Diplomacy. Août 2021. Volume 9, numéro 8. (pp. 335 à 341). Ce rapprochement stratégique a toutefois un coût politique clairement assumé. Dans le communiqué conjoint, « la partie arménienne réaffirme son attachement au principe d’une seule Chine, reconnaissant qu’il n’existe qu’une seule Chine dans le monde, que Taïwan fait partie intégrante du territoire chinois, et que le gouvernement de la République populaire de Chine est le seul gouvernement légitime représentant l’ensemble de la Chine. Elle s’oppose fermement à toute forme d' »indépendance de Taïwan » et soutient les efforts déployés par la Chine en faveur de la réunification nationale. ». Cette déclaration, loin d’être anodine, traduit l’intégration progressive de l’Arménie dans un Caucase où la Chine devient de plus en plus importante et illustre dans le même temps les contreparties inhérente à ce type de partenariats avec une grande puissance.