Le 27 février 2025, Abdullah Öcalan, fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en 1978, a diffusé une lettre appelant à la dissolution du PKK et au dépôt des armes, semble-t-il à la suite d’un accord avec le pouvoir turc en discussion depuis plusieurs mois. Ce communiqué, relayé par les médias internationaux, a immédiatement été qualifié d’historique en Turquie. Il marque un changement radical dans l’histoire de la lutte pour les droits des Kurdes en Turquie de la part du leader historique du PKK, emprisonné depuis 1999 sur l’île d’Imrali. Le PKK figure sur la liste des organisations terroristes désignées par l’Union européenne.
Un message appelant à la fin de la lutte armée
Dans son message, Öcalan appelle à une conférence destinée à officialiser la dissolution du PKK et à encourager les groupes armés à déposer les armes.
« J’assume cette responsabilité historique. Organisez une conférence et prenez cette décision. Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit se dissoudre. »
Le message a été transmis par des représentants du Parti de l’égalité et de la démocratie du peuple (Dem, parti pro-kurde) et lu en kurde et en turc lors d’une conférence de presse à Istanbul.
Si Öcalan avait déjà appelé à un cessez-le-feu en 2013, et si le PKK est sorti affaibli de sa dernière tentative d’insurrection armée de 2015 (violemment réprimée), l’appel du 28 février marque une rupture majeure : il insiste pour la première fois sur la dissolution totale du PKK, une option qui n’avait jamais été évoquée dans ses déclarations antérieures.
Un contexte géopolitique en pleine mutation
L’annonce d’Öcalan intervient alors que la Turquie fait face à des défis internes et régionaux et pourrait avoir intérêt à apaiser sa gestion domestique de la question kurde. En octobre 2024, Devlet Bahçeli, chef du Parti du mouvement nationaliste (MHP) et allié du président Recep Tayyip Erdoğan, avait atterré l’opinion publique en proposant qu’Öcalan vienne au parlement pour annoncer la dissolution du PKK. Depuis, des rumeurs sur une dissolution couraient. Prudence cependant: cet accord entre le pouvoir turc et le PKK ne résulte pas d’une volonté du pouvoir turc de faire meilleure place aux droits des kurdes (la main tendue venant du parti MHP!), mais plutôt une manœuvre du président Erdogan répondant à d’autres intérêts. Ce changement de ton est perçu par certains analystes comme une tentative d’Ankara d’exploiter l’influence d’Öcalan pour affaiblir le mouvement kurde en Syrie et en Irak.
Ces derniers mois, le gouvernement turc a renforcé ses opérations militaires contre les forces kurdes en Syrie et en Irak. Les Kurdes de Syrie, qui représentent encore une des seules forces vives dans ce pays fragmenté et en pleine recomposition après la changement de régime de décembre 2024, n’ont guère de quoi se réjouir de la perspective d’une dissolution du PKK. Seule perspective potentiellement positive pour ces forces, déjà affaiblies par les opérations militaires turques contre leurs bases dans le nord-est syrien depuis plusieurs années: si la situation domestique en Turquie s’apaise, Ankara pourrait diminuer ses opérations militaires contre elles.
Côté diplomatie turque, cet accord tenté avec le PKK se produit alors qu’Ankara cherche depuis la dernière élection présidentielle, à retrouver un “chemin” -pour parler le langage des diplomates- avec l’UE sur certaines questions (visas et soutiens financiers essentiellement). Côté forces politiques turques, l’abandon de la lutte armée laisserait le parti DEM (ex-HDP, Parti des Démocrates du Peuple, parti de gauche issus de mouvements civiques, en particulier kurdes, et prônant le pacifisme et la démocratisation de la société turque pour avancer), en position dominante pour potentiellement consolider sa place dans le paysage politique turc parmi les partis de gauche prônant l’inclusivité.Il n’est d’ailleurs pas anodin que le référentiel de la paix et de la démocratisation soit présent dans le message d’Öcalan lui-même. Selahattin Demirtash, l’ancien chef du parti HDP emprisonné depuis 2016 (et condamné à 42 ans d’emprisonnement en 2024), a salué le message d’Öcalan et s’est dit favorable à cette recherche de la paix entre les peuples turcs et kurdes.
Une réaction divisée parmi les leaders kurdes
Le message d’Öcalan a suscité des réactions contrastées au sein des leaders kurdes de la région, qui n’ont ni les mêmes intérêts ni les mêmes objectifs :
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Nechirvan Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien, a exprimé son soutien à l’initiative et espère qu’elle sera mise en pratique.
- Salih Muslim, leader de l’Alliance démocratique kurde syrienne, s’est montré réservé :
« Nous soutenons les propos d’Öcalan, mais nous ne déposerons les armes que si nous sommes autorisés à agir en tant que force politique. » -
Mazloum Abdi, commandant des Forces démocratiques syriennes, s’en est distingué, estimant que le message concernait uniquement le PKK et non les factions kurdes syriennes.
Ankara, de son côté, continue d’affirmer que tous les groupes kurdes sont liés au PKK, et maintient donc sa pression militaire sur les entités kurdes en Syrie et en Irak.
Des réactions mitigées en Turquie
Le message d’Öcalan a suscité espoir et prudence au sein de la classe politique turque :
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Özgür Özel, chef du Parti républicain du peuple (CHP), a salué cette déclaration, affirmant qu’il était temps de concrétiser cet appel.
- Mustafa Destici, leader du Parti de la grande unité (BBP), s’est inquiété de l’impact potentiel de cette annonce sur les Kurdes de Syrie.
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Les médias turcs ont également évoqué le rôle des États-Unis et d’Israël, souvent perçus en Turquie comme des soutiens des forces kurdes syriennes.