Par Taline Papazian
En décembre 2023, l’Azerbaïdjan a obtenu d’accueillir l’édition 2024 de la Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques (COP29), qui se tiendra du 11 au 24 novembre. Après Dubaï en 2023, Bakou en 2024 : bilan déplorable pour les droits humains et économie reposant sur l’exploitation des hydrocarbures seraient-ils les prérequis des candidatures aux conférences internationales sur le climat ? Au-delà des effets d’annonce et des positionnements marketing qui cherchent à faire illusion, et dont la COP28 à Dubaï n’a pas manqué, les enjeux paraissent importants pour Bakou. L’Azerbaïdjan peut-il véritablement s’engager dans une refonte stratégique de sa politique énergétique, qui impliquerait une réorientation radicale de sa politique économique ultra-dépendante (90%) aux énergies fossiles ?
Au cours des discussions sur le prochain pays d’accueil au mois de décembre 2023, l’Arménie avait retiré sa candidature contre la libération de 17 prisonniers et otages retenus depuis 2020 par l’Azerbaïdjan. La désignation de l’Azerbaïdjan comme pays d’accueil de la COP29 a été confirmée le 9 décembre. L’événement est donc important pour Bakou. Le sommet en matière de lutte contre le changement climatique rassemblera des leaders mondiaux, de hauts fonctionnaires des Nations Unies, des dirigeants industriels de taille, ainsi que d’autres figures du mouvement environnemental mondial.
Des critiques émanant de diverses organisations internationales, groupes de protection de l’environnement et de défense des droits de l’homme ont d’emblée mis en doute la convenance d’organiser une telle manifestation en Azerbaïdjan. Les ONG appellent l’ONU à imposer des “règles strictes sur les conflits d’intérêts pour que les intérêts des énergies fossiles ne puissent pas influer sur les négociations climatiques”, a déclaré Romain Ioualalen, de l’ONG Oil Change International, à l’annonce de cette candidature. Mukhtar Babayev, ministre de l’Ecologie et des Ressources naturelles de l’Azerbaïdjan depuis 2018, a été nommé président de la prochaine COP. Il est un ancien haut cadre de la compagnie nationale pétro-gazière azérie, une nomination qui rappelle celle du président émirati de la COP28 Sultan Al-Jaber, patron d’Adnoc, l’entreprise pétrolière des Emirats arabes unis. De leur côté, les associations de défense des droits des femmes n’ont pas manqué de relever que le comité nommé par l’Azerbaïdjan était exclusivement masculin.
Les préoccupations concernant la protection de l’environnement, les droits de l’homme et la liberté d’expression en Azerbaïdjan s’aggravent d’année en année. Le traitement des Arméniens du Haut-Karabakh est un marqueur particulièrement aigu, mais pas singulier du caractère répressif de la dynastie Aliyev envers les minorités et les voix considérées comme “dissidentes”. Les actions de répression contre les journalistes et contre les manifestations environnementales, telles que celles à Soyudlu à l’été 2023, ont été citées parmi les obstacles à l’acceptabilité de la candidature azerbaïdjanaise. La situation des droits de l’homme a attiré l’attention à l’échelle internationale, avec des personnalités comme Mary Robinson, ancienne présidente de l’Irlande et militante au sein de l’ONU, exprimant leurs préoccupations. Human Rights Watch a particulièrement critiqué la décision d’attribuer l’événement à l’Azerbaïdjan, le qualifiant de choix inacceptable pour un pays décrit comme une « dictature pétrolière » violant les droits humains. Bien que la tenue de l’événement précédent aux Émirats Arabes Unis ait également été controversée, la réaction face à la situation en Azerbaïdjan a été particulièrement vive, mettant en exergue le dilemme éthique posé par l’attribution de tels événements à des nations aux bilans plus que discutables.
La volonté de Bakou d’organiser la prochaine COP s’explique par des motivations politiques et économiques, tant au niveau international que national. D’abord, cette opportunité représente une chance pour le pays de polir son image à l’international et de faire oublier ses déboires en termes de droits de l’homme et de démocratisation. Ceux-ci lui ont valu une suspension de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) au mois de janvier 2024. Accueillir un événement d’une telle envergure pourrait améliorer l’état des relations avec la communauté européenne, compte tenu de son rôle crucial dans la sécurité énergétique du continent grâce à ses exportations de gaz naturel. La relation économique de l’Azerbaïdjan avec l’Europe a toujours été importante : il est le seul fournisseur de gaz naturel par gazoduc du voisinage oriental de l’Union Européenne et joue donc un rôle clé dans le jeu de dupes des Européens consistant à troquer la dépendance au gaz russe contre une dépendance au gaz azéri. Alors que les conférences des Nations unies sur le climat négocient une baisse de l’extraction des énergies fossiles pour limiter le réchauffement de la planète, Bakou prévoit pour sa part de passer de 37 milliards de m³ de gaz en 2024 à 49 milliards de m³ en 2033. Les Européens font mine de ne rien voir, eux qui ont, en juillet 2020, demandé à Bakou une augmentation substantielle de ses livraisons, soi-disant en remplacement des livraisons russes.
Accueillir un événement de renommée internationale sur le climat donnerait une occasion au gouvernement d’Aliyev d’afficher un engagement pour l’action climatique. On a ainsi vu le président azerbaïdjanais, réélu pour la 5ème fois sans contestation en février 2024, annoncer que l’année 2024 était l’Année de la Solidarité Mondiale Verte. Bakou pourrait chercher à se positionner comme un leader potentiel dans la région dans son potentiel d’énergies renouvelables. La capacité solaire et éolienne de l’Azerbaïdjan est importante. Début 2020, d’importants contrats de construction de capacités éoliennes et solaires ont été signés et, en mai 2021, le Parlement azerbaïdjanais a approuvé une loi sur l’utilisation des ressources énergétiques renouvelables dans la production d’électricité. Sur l’eau, le potentiel était moins favorable, mais la conquête militaire de la région du Haut-Karabakh en 2020 puis 2023 a permis à l’Azerbaïdjan de mettre la main sur des ressources lorgnées depuis longtemps.
L’ambition d’attirer des investissements étrangers dans son industrie naissante des renouvelables pour diversifier son économie et présenter le pays comme un hub régional d’énergies renouvelables est présente. Cette stratégie pourrait séduire les investisseurs occidentaux, malgré un intérêt précédemment limité. Elle pourrait utilement être élargie et mise à profit pour toute la région du Caucase du sud. À date, à peu près 22% de la production d’électricité repose sur les renouvelables en Arménie et 32% vient du nucléaire. Le potentiel solaire est élevé, à peu près au niveau d’un pays comme l’Égypte. Les énergies renouvelables auraient donc un potentiel de paix au Caucase du sud, avec des projets profitables à tous, dans l’esprit de coopération proposé par l’Arménie dans sa stratégie de “Carrefour de la paix”.