Gaïdz Minassian, maître de conférences à Sciences Po Paris, met en perspective les visions du parti Dachnaktsoutioun avec à la fois ce qu’il a été historiquement –et qu’il n’est plus – et ce qu’elles impliquent dans la situation actuelle de l’Arménie. La question philosophico-politique qui nourrit le débat public est : quelle est la valeur de référence de nos actes : est-ce l’Arménie céleste et désincarnée ou est-ce l’Etat arménien, une République d’Arménie souveraine composée de citoyens, et devant laquelle les dirigeants sont comptables de leurs actes ?
Le Dachnaktsoutioun, et plus généralement les organisations traditionnelles, partis, Eglise et structures sociales, culturelles et philanthropiques de la diaspora comme en Arménie, défendent et agissent dans le cadre déconnecté du réel de ce qui peut relever d’une Arménie céleste. Cette approche ne favorise pas l’irruption d’hommes d’Etat mais bien de dirigeants portés par une religion ou une idéologie, voire une idéocratie. Dans cette conception où politique et religion se confondent, le peuple est une catégorie imaginaire, qui ne se compose pas de citoyens dépositaires d’une quelconque souveraineté. Le peuple est perçu comme une masse de réfugiés, voire d’apatrides, qui pour survivre ne peuvent que se mettre dans le prolongement de l’impérialisme russe, lequel les vassalise nécessairement et par principe. D’où l’alliance entre toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans l’Arménie céleste avec les relais locaux de la vassalisation d’un pouvoir oligarchique mais surtout pas d’un Etat.
Le véritable courage pour un chef d’Etat consiste à agir en fonction du réel même et surtout quand la situation est critique. Dans le cas de l’Arménie, cela signifie trouver langue avec les voisins turc et azerbaïdjanais. En 1918, les dirigeants dachnaktsagans, fondateurs de la Ière République, n’ont pas fait autre chose quand ils ont signé le traité de Batoumi avec l’Empire ottoman en 1918, dont le leadership jeune-turc avait pourtant du sang plein les mains. Et pourtant, personne n’a qualifié les Alexandre Khadissian, Hovannes Katchnazouni, Aram Manoukian et Simon Vratsian, de “traîtres” ou “d’ennemis” des Arméniens… Ces dirigeants, mus par l’obsession d’obtenir pour l’Etat arménien une place dans la grande famille de la communauté internationale, ont eu le courage et l’esprit visionnaire en tentant en dépit des difficultés (rescapés du génocide), des menaces (guerres aux portes) et des enjeux (stabilité du jeune Etat arménien face à l’alliance entre Kémalistes et Bolcheviks) de faire en sorte que la République d’Arménie aspire à se pérenniser. C’est grâce à ce sursaut de réalisme, qu’un Etat souverain a pu sur le papier revoir le jour à la fin des années 1980, et qu’il faut maintenant surmonter le défi de le rendre stable et prospère pour tous et toutes dans une paix de droit.
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