A la veille des commémorations mondiales du 108ème anniversaire du génocide commis par le gouvernement jeune-turc contre les Arméniens de l’Empire ottoman pendant la première guerre mondiale, la crise humanitaire créée par l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh franchit une nouvelle étape. Le corridor de Latchine, seule route reliant la région du Haut-Karabakh, est bloquée depuis le 12 décembre 2022. Les Arméniens devaient pouvoir emprunter ce couloir pour entrer librement au Haut-Karabakh et en sortir. La mise en place d’un poste-frontière azerbaïdjanais à l’entrée du couloir marque, en dur, l’interdiction de la circulation. Aucune entrée au Haut-Karabagh ne se fera plus sans contrôle azerbaïdjanais.
L’Azerbaïdjan a mis en place un poste-frontière au pont de Hakari, situé à la fin de la nouvelle route du corridor de Lachine, près de la frontière arménienne entre le Haut-Karabakh et l’Arménie. En principe, cette route alternative était et devait rester sous contrôle des forces d’interposition russes. L’Azerbaïdjan marque physiquement son objectif de faire passer la région du Haut-Karabakh totalement sous son contrôle. La prise de contrôle du pont par l’Azerbaïdjan rendra l’acheminement plus compliqué et hasardeux, aggravant la crise humanitaire en cours depuis 4 mois.
Le pont de Hakari est une composante essentielle de la nouvelle route du corridor de Lachine. Avant la mise en place de ce poste-frontière, les forces azerbaïdjanaises utilisaient la route passant sous le pont tandis que le pont lui-même était utilisé par les forces d’interposition russes et les véhicules du Comité international de la Croix-Rouge (depuis le 12 décembre). A proximité du pont, les forces russes avaient établi des positions fortifiées. On ne sait rien des circonstances qui ont permis aux forces azerbaïdjanaises de monter et d’installer en toute quiétude un post-frontière en dur dans un lieu censément contrôlé par les forces russes.
La mise en place de ce post-frontière est unanimement condamnée de la France aux Etats Unis en passant par la Russie, mais non sans ambiguïté. La Russie a déploré “les initiatives unilatérales” tout en appelant les parties à faire preuve de “détermination dans la mise en place des accords tripartites” conclus sous son égide et dans l’avancée desquels cette dernière reste la pièce maîtresse. L’ambassadrice américaine a condamné lors de sa visite au mémorial du Génocide, à Erevan, ce matin une action qui “nuit aux efforts pour établir la confiance dans le processus de paix”, processus que les Américains soutiennent en encourageant les discussions entre les parties. La déclaration officielle de la France a “déploré” l’initiative de l’Azerbaïdjan tout en rappelant cette dernière à ses obligations de déblocage du couloir de Latchine, expressément reconnues par la CJI en février 2023.
Avec la mise en place de ce poste-frontière, c’est un nouveau point de la déclaration du cessez-le-feu de novembre 2020 qui est de fait nullifié. Depuis le 12 décembre 2022, le blocage du couloir de Latchine avait déjà bien entamé la validité de l’article 6 de cet accord. Restait la possibilité prévue par ce dernier d’une route alternative sur une section du corridor de Latchine, qui devait constituer un second axe de ce couloir. La mise en place d’un check-point contrevient au statut de ce couloir qui devait, aux termes de la déclaration, permettre un passage libre des personnes et des biens du Haut-Karabakh vers le reste du monde et vice-versa.
En instaurant un contrôle au niveau de cette route alternative, l’Azerbaïdjan progresse dans le démantèlement de fait de la déclaration de cessez-le-feu de novembre 2020, afin d’obtenir aux moyens d’une guerre feutrée, parfois entrecoupée d’opérations militaires de courte durée (en Artsakh et en Arménie), et sur fond d’une diplomatie agressive, une résolution complète – de son point de vue- du problème du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan avait préparé le paysage informationnel en parlant depuis des mois d’installer un poste frontière entre le district de Lachine et l’Arménie, au prétexte de contrôler des transferts d’armes et de mines depuis l’Arménie au Haut-Karabakh, accusant implicitement la Russie de complicité dans lesdits transferts. Autre point mis en avant par l’Azerbaïdjan: créer l’impression d’une équivalence entre la région du Haut-Karabakh et le couloir qui la lie au monde extérieur via l’Arménie et la région du Nakhichevan, exclave azerbaïdjanaise située entre l’Iran, la Turquie et l’Arménie et qui devrait donc bénéficier aussi d’un couloir la reliant à l’Azerbaïdjan. Une équivalence absurde, le Nakhichevan n’étant pas coupé du monde ni ses habitants sous blocus de la part de l’Arménie. Lors d’une de ses récentes interviews, Aliyev a mis en demeure les Arméniens dans le Haut-Karabakh soit d’accepter de devenir des citoyens comme les autres (une offre rien moins qu’alléchante vu le niveau de liberté dont jouissent les citoyens azerbaïdjanais) soit de quitter le territoire.
La mise en place de ce poste-frontière, certes déplorée mais n’entraînant pas de conséquences pour l’Azerbaïdjan, augmente le risque de nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh, soit par l’exode soit par l’étouffement.
Taline Papazian