Freedom House: les petites démocraties ne survivront pas seules

Le rapport “Nations in Transit 2024” publié par Freedom House sur l’année 2023 dresse un tableau alarmant de l’état de la démocratisation en Eurasie, de plus en plus dominé par des forces autocratiques. En resserrant la focale sur le Caucase du sud, on se souvient de la gageure que représente la consolidation de la démocratie pour deux petits pays voisins, la Géorgie et l’Arménie, entourés de régimes autoritaires, voire autocratiques. L’étude de Freedom House révèle une polarisation accrue entre les démocraties libérales et les régimes autoritaires, avec des implications profondes non seulement pour la sécurité régionale, mais aussi pour l’intégrité des systèmes démocratiques à travers le continent. En dépit des réserves et des précautions à prendre vis-à-vis des rapports de ces grands ONG américaines, ces derniers livrent des tendances intéressantes. Ce qui est décrit pour l’Arménie dans ce rapport rejoint par ailleurs ce qui était déjà constaté par les défenseurs des droits locaux depuis 2022 ainsi que par des observateurs attentifs. 

L’Arménie, située dans une région stratégique au carrefour de l’Europe et de l’Asie, subit les conséquences directes de l’autoritarisme croissant de ses voisins, notamment la Russie et l’Azerbaïdjan. Le gouvernement de Vladimir Poutine en Russie poursuit une politique agressive, tant à l’intérieur de ses frontières qu’à l’échelle internationale, comme en témoigne son invasion continue de l’Ukraine et la guerre menée depuis 2022, ainsi que les moyens de guerre hybride utilisés contre d’autres pays comme l’Arménie ou la Moldavie. La pression exercée constamment par l’Azerbaïdjan sur l’Arménie depuis la fin de la guerre des 44 jours en 2020 contribue à un environnement sécuritaire instable. D’un côté, les agressions militaires et l’occupation de 200km² de territoire arménien en différents points proches de la frontière exposent la vulnérabilité extrême du territoire arménien. De l’autre côté, le blocus puis l’attaque militaire contre la région du Haut-Karabakh en septembre 2023 a conduit à l’exode total de la population arménienne de la région et à une crise en Arménie qui doit faire face aux problématiques d’accueil et d’intégration de long terme des réfugiés. La situation sécuritaire et l’environnement régional exacerbent les défis en termes de consolidation des acquis démocratiques. 

L’Arménie est une démocratie naissante. Après avoir reculé de la fin des années 1990 à la fin des années 2000, puis stagné pendant la décennie 2010, elle a enfin reçu une impulsion positive au moment de la révolution de velours de 2018. La tendance positive s’est maintenue ces dernières années, en dépit de la guerre des 44 jours, mais les progrès ont été inégaux. Avec un score de 3,07 (/10), l’Arménie est comparable à la Géorgie (3,04) et à la Moldavie (3,11). En 2023, un léger recul est enregistré dans le score total donné par Freedom House. Parmi les défis internes on note la lenteur des réformes judiciaires et une insatisfaction certaine vis-à-vis de la gouvernance du Premier ministre Nikol Pashinyan. L’Arménie peut-elle réussir à consolider ses acquis démocratiques dans un environnement régional hostile ?

Le document critique sévèrement le manque de réponse cohérente des démocraties mondiales face à l’agression russe en Ukraine et à la crise dans le Nagorno-Karabakh. En septembre 2023, l’Azerbaïdjan a relancé son offensive militaire contre le Nagorno-Karabakh, un territoire peuplé d’Arméniens, aggravant ainsi une situation humanitaire rendue critique par l’imposition d’un blocus contre la population de la région depuis décembre 2022. L’attaque a entraîné un exode complet de la population arménienne du Haut-Karabakh. La vulnérabilité de l’Arménie face aux ambitions territoriales de ses voisins est patente. Les scores donnés par le rapport à l’Azerbaïdjan et à la Russie sont identiques (1,07). Ces résultats sont proches de ceux du Tajikistan et du Turkménistan.

Les auteurs du rapport appellent à une stratégie plus robuste et unifiée pour soutenir les nations en transition comme l’Arménie. Cela comprend le renforcement du soutien militaire, mais aussi un engagement plus profond pour renforcer les institutions démocratiques et promouvoir une gouvernance transparente et responsable. Le rapport suggère que l’Europe, en particulier, doit revoir sa stratégie de défense et de solidarité démocratique. Cela implique non seulement un soutien accru à l’Ukraine, mais également une attention spécifique à des nations vulnérables comme l’Arménie, qui sont essentielles pour maintenir l’équilibre démocratique dans la région.

Face à ces défis, l’Arménie se trouve à la croisée des chemins. Sa géographie peut en faire un carrefour ou un cul-de-sac, tout comme les vents contraires de la géopolitique mondiale peuvent la déchirer. Le pays doit naviguer entre les pressions externes de ses voisins autocratiques et ses aspirations internes à une gouvernance démocratique efficace. Cela nécessitera une diplomatie habile, un renforcement des capacités défensives et un soutien international accru. Les auteurs du rapport soulignent que la communauté internationale, en particulier les démocraties occidentales, doit reconnaître l’importance stratégique de l’Arménie pour la sécurité régionale et comme bastion potentiel de la démocratie dans une région où l’autoritarisme ne cesse de gagner du terrain.

Alors que l’Arménie continue de naviguer dans les eaux tumultueuses de la géopolitique régionale, son avenir démocratique reste incertain. Néanmoins, avec un soutien international approprié et une stratégie interne cohérente, il reste un espoir que l’Arménie puisse se frayer un chemin vers une stabilité durable et un régime véritablement démocratique. Le rapport “Nations in Transit 2024” vient démontrer que le soutien à des nations comme l’Arménie est une question à la fois de solidarité et de nécessité stratégique pour maintenir l’équilibre et la paix dans une région en constante évolution. Défendre des valeurs partagées fait partie de l’intérêt des États démocratiques.