La rentrée littéraire en Arménie a été marquée par un grand festival du livre francophone. A l’honneur, “L’ami arménien”, roman d’Andreï Makine, lauréat du Prix Goncourt et membre de l’Académie française, présenté par la maison d’édition arménienne Newmag. Ce roman est paru aux éditions Grasset en 2021, un an après la guerre des 44 jours. C’est une œuvre autobiographique dans laquelle l’auteur rend hommage à son ami Vardan tout en cherchant à “donner une voix aux silences de l’histoire”.
Le 9 septembre, la capitale arménienne a accueilli pour la première fois le festival du livre francophone. Evénement inédit, selon le directeur de la maison d’édition Newmag Artak Aleksanyan, car pour la première fois l’Arménie a pris l’initiative de développer un projet littéraire et culturel français : “Au cours des cent ans d’amitié, c’est la première fois que l’initiative ne vient pas de la France, mais de l’Arménie. La France est reconnue comme le deuxième pays littéraire au monde, après le monde anglo-saxon. C’est pourquoi nous avons décidé d’organiser ce festival et de présenter la littérature française contemporaine.” Artak Aleksanyan a expliqué que c’était aussi leur manière de remercier la France pour son soutien et sa présence aux côtés de l’Arménie au cours des 35 dernières années. “Les liens étroits qui se sont tissés depuis lors sont très actifs dans les domaines politiques et économiques. Notre initiative est littéraire, de l’Arménie vers la France, dans le but de favoriser une communication mutuelle, de faire découvrir la littérature française contemporaine et également de promouvoir la publication d’ouvrages arméniens en français.”
Artak Aleksanyan fait remarquer que les maisons d’édition arméniennes avaient souvent limité leurs publications aux grands classiques français tels que Hugo et Balzac, ce qui constituait un bon point de départ. Cependant, il considère que la littérature francophone ne se réduit pas aux grands auteurs du passé. La période contemporaine est très dynamique et s’étend bien au-delà des frontières de l’hexagone, et il souhaite le faire découvrir aux Arméniens dans leur langue maternelle.
Gnel Nalbandian, rédacteur en chef de Newmag, a constaté que la nouvelle génération en Arménie ne connaît pas encore la production littéraire actuelle en France : “Les jeunes Arméniens doivent découvrir et se familiariser avec la culture et la littérature françaises. C’est l’occasion de découvrir la culture française et de comprendre les Français en arménien”.
Le dernier roman d’Andreï Makine en arménien
Temps fort du festival: la présentation de la traduction arménienne de “L’ami arménien”. Cette oeuvre revient sur le génocide des Arméniens. Le fait que le livre ait été publié un an après la guerre des 44 jours n’est pas non plus le fruit du hasard: le roman comporte des références explicites et implicites à ce conflit.
A travers l’histoire d’une amitié adolescente, Makine révèle dans ce roman la vie d’une communauté arménienne en exil, qui finit par envahir sa propre vie. Le narrateur, pensionnaire d’un orphelinat en Sibérie à l’époque de l’empire soviétique finissant prend la défense de Vardan, un garçon du même âge que lui. Il accompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d’anciens prisonniers « qui n’ont pour biographie que la géographie de leurs errances ». Le narrateur est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soutenir leurs proches transférés et emprisonnés en Sibérie, à 5 000 kilomètres de leur pays natal. Ils y attendent leur jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique », eux qui avaient créé une organisation clandestine revendiquant l’indépendance de l’Arménie. C’est dans ce petit « royaume d’Arménie » miniature reconstitué en Sibérie que le narrateur dévoile une page sombre et triste du passé de ce peuple.
Bien que le cœur du livre soit ancré dans le contexte du génocide, il ne s’agit en aucun cas d’une œuvre mélancolique. L’histoire d’amitié de ces adolescents tisse l’intrigue narrative, centrée sur leur petit univers et une chasse au trésor. Une lueur crépusculaire baigne l’ensemble du récit, lui conférant une certaine touche de classicisme tout en demeurant intemporelle et irrésistiblement séduisante. Loin de la tristesse, l’atmosphère du livre est plutôt celle d’une humanité en voie de disparition, incroyablement émouvante.