Désinformation, influence, manipulation : la France et l’Arménie parmi les cibles de Moscou et de Bakou

À l’heure où la guerre de l’information redéfinit les rapports de force entre États, démultiplie les niveaux d’acteurs impliqués, et où les conflits géopolitiques gagnent en intensité dans un ordre international dérégulé, les campagnes d’influence numériques s’imposent comme des instruments politiques à part entière. La Russie, depuis longtemps maîtresse dans l’art de l’influence cognitive, exploite habilement les ressources offertes par les réseaux sociaux pour intensifier ses opérations de manipulations mentales contre ses adversaires, aussi bien en Europe que parmi les anciens pays soviétiques sur lesquels elles souhaitent récupérer ou conserver son emprise. Bien que plus récemment entré sur la scène de la désinformation numérique, l’Azerbaïdjan progresse rapidement en la matière.

Depuis 2022, la sphère numérique francophone est de plus en plus ciblée par des opérations de manipulation orchestrées depuis l’étranger. Depuis Moscou d’une part, dans le contexte de la guerre en Ukraine, avec comme objectif de modifier les perceptions de l’opinion publique sur cette guerre. Bakou s’est engouffré dans la brèche pour ses propres besoins: dans le cadre du conflit avec Erevan, et prenant acte du soutien de la France à l’intégrité territoriale de l’Arménie et aux condamnations des agressions militaires commises par Bakou sur le sol de la République d’Arménie en 2022, l’Azerbaïdjan s’est lancée dans une campagne d’influence contre les intérêts français. Rapportée à la taille du pays, la politique azerbaïdjanaise en la matière ne manque ni d’entrisme ni d’agressivité. Les agences étatiques des sociétés démocratiques, à l’image de Viginum en France, ont fort à faire pour veiller et révéler ces opérations de manipulations des esprits. On se souvient du rapport de Viginum publié en décembre 2024 sur la campagne d’influence coordonnée menée par le Baku Initiative Group (BIG), une entité de propagande affiliée à l’État azerbaïdjanais. Cette opération visait à déstabiliser l’opinion publique en France, en particulier dans les DROM-COM et en Corse, en instrumentalisant les discours indépendantistes et les mémoires coloniales à travers un réseau de faux-comptes sur la plateforme X (ex-Twitter). Bien que Viginum ait moqué l’insuccès de cette campagne (dénommée « UN-notorious BIG » dans le rapport), la vigilance reste de mise. 

En Arménie, l’approche des élections parlementaires, prévues dans un an, rend palpable l’intensification des actions de manipulation mentale menées par Moscou -et ses relais locaux- pour influencer l’opinion publique arménienne. Un article paru sur Vedomosti.ru le 30 avril 2025 rapporte que Sergey Kirienko,directeur adjoint de l’Administration Présidentielle de la Fédération de Russie depuis 2016, s’est vu confier le soin de “s’occuper de l’Arménie”. Homme particulièrement expérimenté dans les opérations de désinformation et déstabilisation russes, ses autres portefeuilles récents incluaient l’Abkhazie, l’Ossétie du sud et la Moldavie. Deux missions lui auraient été confiées en particulier concernant l’Arménie: premièrement, contrer le “penchant de plus en plus occidental du leadership arménien, penchant inacceptable pour la Russie”; et deuxièmement, implanter “des hommes politiques pro-russes dans le paysage électoral” pour remplacer la vieille clique des Kotcharian et Sargsyan, tellement détestés par la société arménienne que même Moscou n’ose plus miser sur eux. 

En parallèle, le Threat Analysis Group (TAG) de Google a documenté une explosion des chaînes YouTube pro-gouvernementales azerbaïdjanaises par milliers. Ces chaînes glorifient le régime d’Ilham Aliyev, attaquent les opposants politiques et dénigrent l’Arménie en ayant recours à des contenus générés automatiquement: faux comptes, commentaires coordonnés, contenus narratifs manipulés visant à maintenir la peur au sein de la société arménienne. Il y a certainement plus efficace, mais l’Arménie ne s’est pas encore dotée de son Viginum. 

Ces offensives hybrides, mêlant storytelling géopolitique, technologies algorithmiques et manipulations des peurs et des dissensions existant au sein de toute société, illustrent la manière dont certains régimes tentent de façonner les opinions publiques dans les pays adverses. Les techniques de déstabilisation utilisent des faiblesses ou des éléments de polarisation existant dans la société ciblée pour les accentuer, semer le doute sur les faits, créer la confusion sur les rapports de valeur -l’agresseur et l’agressé dans une guerre par exemple- et ainsi saper les ressources de mobilisation du pays ciblé.

Dans ce contexte de pression informationnelle grandissante, les vulnérabilités de la société arménienne sont autant de failles permettant de mener une guerre “douce” pouvant aboutir à des résultats tangibles sans avoir à courir les risques d’une guerre classique. En complément des réponses des acteurs étatiques, via des stratégies nationales, des agences dédiées et des régulations (qui tardent et peinent à s’imposer aux plateformes), une réponse par l’éducation des sociétés est également nécessaire. C’est pour cette raison qu’en Arménie, Armenia Peace Initiative (API) forme des compétences locales en cybersécurité depuis 2023. Au semestre de printemps 2025, API a mené sa 4ème session de formation en cybersécurité en partenariat avec l’UFAR et la 2ème en partenariat avec Relq, pour remédier aux vulnérabilités sociales et aux défauts professionnels.