Par Taline Papazian
Le 22 janvier 2024, les pouvoirs de la délégation de l’Azerbaïdjan auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) ont été contestés par le député Frank Schwabe (Allemagne, SOC) le jour de l’ouverture de la session plénière d’hiver. Citant les prisonniers politiques azerbaïdjanais, le déplacement violent des populations du Haut-Karabakh, le fait que l’Azerbaïdjan a refusé trois fois aux rapporteurs de l’Assemblée de se rendre en Azerbaïdjan au cours de l’année 2023, et enfin l’absence d’invitation à observer l’élection présidentielle azerbaïdjanaise du 7 février prochain, Frank Schwabe a entamé le débat et demandé la suspension de l’Azerbaïdjan. Sa demande a été soutenue par au moins trente membres de l’Assemblée, appartenant à au moins cinq délégations nationales, comme l’exige le règlement, amenant la suspension le 25 janvier.
Le député Franck Schwabe n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en 2015, avec deux autres députés (UteFinckh-Kraemer, député allemand, et Michael Mc Namara, député irlandais), il avait exprimé son désaccord avec les conclusions de l’APCE sur les élections parlementaires en Azerbaïdjan dans une déclaration séparée et avant la finalisation du rapport de la mission : « Nous ne sommes pas venus en Azerbaïdjan pour donner des leçons au peuple d’Azerbaïdjan ou à son gouvernement », pouvait-on lire à la fin de cette déclaration ; « la majorité du Bureau de l’Assemblée parlementaire a voté en faveur de l’envoi d’une mission internationale d’observation des élections en Azerbaïdjan pour observer la journée électorale, dans des conditions telles que sa présence pourrait être interprétée comme une légitimation d’un processus électoral manifestement non démocratique, (…) nous n’avons pas d’autre choix que de faire une déclaration publique pour garantir que notre présence n’implique pas une telle légitimité. » Les moniteurs de l’APCE avaient en effet jugé que les élections parlementaires constituaient un pas en avant dans la démocratisation du pays à en juger par le nombre de votants et les procédures de comptage.
Des représentants de la société civile azerbaïdjanaise avaient exprimé leur déception vis-à-vis de ces conclusions qui ne reflétaient pas la réalité du vote et se situaient en deçà des recommandations formulées par l’APCE à peine quelques mois plus tôt. Dans une résolution du mois de juin 2015, l’APCE demandait à l’Azerbaïdjan de faire des efforts envers la société civile et les défenseurs des droits. Jusqu’ici, cependant, Schwabere présentait une minorité insignifiante et une voix dissidente. Le fait que cette fois-ci les arguments de Schwabe aient fait l’objet de véritables discussions puis d’un vote marque peut-être l’émergence d’une volonté politique de l’Europe de faire le ménage parmi une partie de ses représentants.
Après 4 ans d’enquête, les procureurs de Munich ont finalement présenté leurs accusations le 29 janvier 2024, à l’égard des anciens députés allemands (CDU) Axel Fischer et Eduard Lintner, qui auraient reçu de fortes sommes d’argent pour voter « suivant les instructions » du gouvernement azerbaïdjanais et participer à la rédaction de rapports positifs concernant la tenue d’élections, pour des montants de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les procureurs de Munich ont également inculpé le fils de Lintner, qui aurait aidé en coulisses et effectué des transferts, ainsi qu’un ancien employé de Lintner et l’ancien député Strenz, décédé prématurément en 2021. Interrogés par le magazine allemand Der Spiegel, ni le père ni le fils n’a répondu. « En fin de compte, ces procédures déclencheront une réaction en chaîne », a déclaré Frank Schwabe, chef de la délégation du Conseil de l’Europe au Bundestag, au magazine. « Après tout, ces trois personnes font partie d’un réseau de corruption allemand et européen autour de l’Azerbaïdjan. »
La délégation azerbaïdjanaise a dénoncé la décision de l’APCE comme « raciste, azerbaïdjanophobe et islamophobe ». Ces derniers jours, les médias officiels azerbaïdjanais et différents sites de propagande entonnent ce refrain à qui mieux mieux, agrémenté d’accusations de « colonialisme européen », sans se soucier des contradictions inhérentes à ce florilège de hauts cris. Pourtant, la vraie question serait plutôt de savoir pourquoi il aura fallu tant d’années à Schwabe pour parvenir à se faire entendre de l’APCE et quelles seront les conséquences de cette suspension, qui par ailleurs n’annule pas la participation de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe.