Par Taline Papazian
En ce début d’année 2025, Bakou durcit de nouveau sa rhétorique vis-à-vis de l’Arménie. Pourquoi ? L’agressivité rhétorique du président Aliyev s’explique principalement par la conjoncture internationale, qui continue de se dégrader, de favoriser les solutions de force, et joue par conséquent en défaveur de l’Arménie. Par comparaison avec la situation qui a permis en septembre 2022 de stopper l’agression de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie, traduite par une conjonction rare des intérêts de Washington et de Téhéran, la conjoncture du début 2025 n’est pas favorable. Aliyev légitime donc de futures escalades contre l’Arménie sur un plan rhétorique. Le choix d’un scénario maximaliste par Bakou gagne en probabilité, sans être le seul possible. Dans un tel scénario, une mise sous blocus du Syunik est à envisager. Quelles sont les perspectives sur la suite des négociations ?
Deux autres scénarios existent, compris entre une paix minimale, à laquelle l’Arménie travaille, et un maintien du statu quo présent. De l’aveu même de Bakou, et plus d’une fois, seuls deux points restent en désaccord. Erevan ne peut faire autrement que de persévérer dans ses efforts pour faire pencher la balance du côté de la stabilisation de la situation – paix minimale -, aussi bien directement avec l’Azerbaïdjan qu’indirectement avec ceux de ses partenaires internationaux intéressés par la paix, tout en se préparant à défendre son territoire.Sur le long-terme, Erevan semble souhaiter faire porter ses efforts sur Washington et Bruxelles. Un accord de coopération stratégique serait en passe d’être signé avec les Etats-Unis, tandis qu’avec l’UE, le gouvernement arménien vient d’adopter un projet de loi sur le lancement d’un processus d’adhésion à l’UE. La prochaine réunion de la commission sur la délimitation des frontières, prévue courant janvier 2025, sera un signal important sur l’état réel des négociations.
Par comparaison avec la situation qui a permis en septembre 2022 de stopper l’agression de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie, la conjoncture du début 2025 n’est pas favorable. Tandis qu’en 2022, les intérêts de l’Iran et des Etats Unis avaient coïncidé de manière conjoncturelle pour stopper agression, cette conjonction n’existe pas aujourd’hui. Les « lignes rouges » de l’Iran au Caucase du sud qui sont un facteur important du maintien du statu quo, et par conséquent de l’intégrité territoriale de l’Arménie, sont remises en question avec les défaites iraniennes sur les différents fronts des conflits du Proche-Orient. Aux Etats-Unis, l’approche du changement d’administration est une période de flottement propice à des repositionnements conjoncturels de la part d’acteurs qui jouent du dérèglement de l’ordre mondial et de la fragilisation du droit international à leur profit et qui ont la force pour eux. C’est le cas du régime d’Aliyev. Une mise sous blocus du Syunik n’est pas exclue en cas de dégradation plus marquée encore de la conjoncture. Dans un scénario maximaliste, l’Arménie idéale d’Aliyev est désarmée, sous-développée, sans partenaires internationaux et vassalisée. A côté de ce scénario maximaliste, deux autres scénarios existent compris entre une paix minimale, à laquelle l’Arménie travaille, et un maintien du statu quo présent, avec un nuancier riche (escalades en différents points frontaliers).
Erevan ne peut faire autrement que de persévérer dans ses efforts pour faire pencher la balance du côté de la paix, aussi bien directement avec l’Azerbaïdjan qu’indirectement avec ceux de ses partenaires internationaux souhaitant également la paix. Avec la même détermination et la même lucidité, Erevan doit continuer à se préparer à défendre son territoire et sa population, en continuant de s’armer et surtout en accélérant les réformes doctrinales et opérationnelles de sa sécurité et de sa défense. Beaucoup sont extrêmement sceptiques concernant ces efforts, arguant que la position d’Erevan est vaine si Bakou ne souhaite pas la paix. Il y a de bonnes raisons à ce scepticisme et d’encore meilleures raisons à reconnaître et à louer les efforts de l’Arménie pour avancer sur une ligne de crête ardue et périlleuse depuis 2 ans. Sans compter que l’hypothèse par laquelle Bakou aurait d’avance décidé la guerre n’est pas démontrée. Il est plutôt vrai de dire que Bakou est prêt pour les trois scénarios mentionnés plus haut et prendra la meilleure option en fonction de la conjoncture. La ligne générale de la diplomatie d’Erevan est non seulement la seule réaliste dans le rapport de forces actuel mais de plus la seule qui conserve une chance, aussi mince soit elle, d’éviter une guerre à grande échelle. Cette diplomatie est un outil, et en vérité le seul qu’Erevan ait à sa disposition car, faut-il le rappeler, le rapport de forces est en faveur de Bakou et le restera pendant un bon moment.
La légitimité et le réalisme d’Erevan sont compris dans les quatre capitales qui comptent pour potentiellement restreindre le risque d’une guerre à grande échelle contre l’Arménie : Téhéran, Ankara, Washington et Bruxelles. Pour des raisons évidentes, Moscou ne fait pas partie des capitales qui restreindraient une guerre contre l’Etat arménien, et certainement pas dans le respect des lignes rouges d’Erevan, à savoir, notamment, un aménagement de la voie de passage au Zanguezour qui se fasse dans le respect de sa souveraineté. Ankara pourrait, en revanche, jouer dans cette conjoncture un rôle particulier. Ankara estime que Bakou a résolu les principaux éléments de son conflit avec l’Arménie, depuis 2021, et a fortiori depuis 2023.
De plus, le rapprochement marqué de Bakou et de Moscou depuis 2022 n’y est pas universellement bien perçu. Enfin, dans les plans de long-terme d’expansion de la Turquie vers l’Asie centrale, un Caucase du sud pacifié est préférable à sa version chroniquement instable. A ce jour, Bakou représente le point d’achoppement de développements positifs possibles dans la région mais reste un partenaire autrement plus important que ne pourrait l’être Erevan, ce qui explique en partie que la normalisation des relations diplomatiques entre Erevan et Ankara reste soumise aux avancées sur un accord de paix. Ce qui ne signifie pas que cette position ne puisse pas évoluer, d’où l’intérêt d’amener, par exemple, l’Union européenne dans une discussion sur les potentialités économiques d’une région ouverte et d’y intéresser la Turquie. Sur la question des voies de communication passant par le sud de l’Arménie et qui relieraient l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, l’Arménie a fait plusieurs séries de propositions constructives à l’Azerbaïdjan. Aliyev a déclaré à plusieurs reprises que l’Arménie devra donner un « corridor » ou que, lui, le prendrait. Les décisions de Bakou en la matière en 2025 dépendront avant tout de l’évolution de la conjoncture internationale et des positions de ces quatre capitales.
Sur le long-terme, Erevan semble souhaiter faire porter des efforts nourris sur Washington et Bruxelles. Un accord de coopération stratégique serait en passe d’être signé avec les Etats-Unis. Toutefois, l’Arménie doit déployer des efforts continus pour travailler les relations interpersonnelles avec la nouvelle administration Trump, afin que le Caucase du sud et l’Arménie ne disparaissent pas des préoccupations, même secondaires. Un accord de paix minimal Arménie-Azerbaïdjan resterait alors possible. De l’aveu même de Bakou, seuls deux points de désaccord demeurent. Vis-à-vis de l’UE, le gouvernement arménien vient d’adopter un projet de loi sur le lancement d’un processus d’adhésion à l’UE, qui fait suite à une initiative de consultation citoyenne initiée à l’automne 2024 par une coalition de partis politiques et d’associations pro-occidentales, ayant recueilli plus de 50 000 signatures en l’espace de quelques semaines. A la suite de ce projet de loi, un processus formel marquant la volonté de l’Arménie de se rapprocher de l’UE pourrait démarrer.
La prochaine réunion de la commission sur la délimitation des frontières, prévue courant janvier 2025, sera un signal important sur l’état réel des négociations, selon que cette réunion se tiendra ou non. Le choix méthodologique qui sera fait pour poursuivre la délimitation sera également parlant. Une première option consisterait à choisir une section miroir de la première (celle du nord du Tavush), une section donc où l’Azerbaïdjan aurait quelque chose à concéder (Nerkin Hand, dans la région du Syunik, ou bien les environs de Djermouk, où l’Azerbaïdjan occupe le territoire de la République d’Arménie, seraient à cet égard un signal extrêmement positif mais très peu vraisemblable). Une deuxième option porterait sur une section neutre, facile à délimiter, sans trop de complications sur les zones résidentielles (rive orientale du lac Sevan par exemple). Une troisième option enfin serait de choisir une nouvelle section difficile à délimiter et à l’avantage de l’Azerbaïdjan. Si l’option un semble exclue, le choix entre les options deux et trois dira quelque chose de l’état d’esprit de Bakou dans la poursuite de ce processus de délimitation, qui a été, en 2024, un point essentiel dans l’avancée des négociations.