En arrière-plan de la grave crise humanitaire qui sévit au Haut-Karabagh, du fait du blocus imposé par l’Azerbaïdjan depuis près de 9 mois, les Arméniens du Haut-Karabagh font aussi face à une crise politique. Plusieurs mois de conflits entre les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, appuyés par leurs “parrains” en coulisses, et le président Arayik Haroutyounian, ont abouti à la démission de ce dernier le 1er septembre. Un coup d’Etat en douceur.
Le 1er septembre, le président du Haut-Karabagh, Arayik Harutyunyan, a présenté sa lettre de démission à l’Assemblée nationale. La veille, il annonçait sa décision comme “réfléchie, basée sur les résultats de l’analyse des données dont je dispose, prise uniquement par moi. […] L’inaction persistante de la communauté internationale face au blocus du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan suggère qu’il est nécessaire de modifier nos approches et nos démarches et de faire preuve de flexibilité. Pour y parvenir, nous devons changer les principaux acteurs de l’Artsakh, à commencer par moi”, avait écrit Harutyunyan sur Facebook la veille de sa démission. En dépit des propos lénifiants de Harutyunyan -qu’il aurait pu tenir tout aussi bien à l’issue de la guerre des 44 jours en 2020- sa démission a été précédée par plusieurs mois de crise croissante. Quelques jours auparavant, le remplacement du président de l’Assemblée nationale, Artur Tovmasyan, par le député David Ishkhanyan, du parti FRA-Dashnaktsutyun, la plus petite faction de l’Assemblée nationale (3 députés), faisait de ce dernier le président de facto, indiquant clairement que cette crise risquait de se résoudre par des voies à peine légales de façade, certainement pas légitimes.
Deux personnages principaux sur la scène politique du Haut-Karabakh. Premièrement, Samvel Babayan, ancien commandant en chef de l’armée de défense du Haut-Karabakh et chef du parti “Patrie unie” (Miasnagan Hayrenik), représenté à l’Assemblée par 16 députés. En dépit de désaccords de fond avec Harutyunyan, Babayan a défendu jusqu’au bout la légalité des institutions et n’a jamais appelé à la démission du président. Deuxièmement, Ruben Vardanyan, l’oligarque originaire de Russie, installé au Haut-Karabakh pour y occuper le poste de ministre d’Etat en novembre 2022. La question de la légitimité des fonctions politiques de ce dernier au Haut-Karabakh s’est posée dès l’origine. Ses désaccords avec le président l’ayant amené à quitter ses fonctions en février 2023, il a assumé depuis un rôle d’homme public et d’opposant.
Les dissensions politiques étaient déjà vives au moment de son arrivée entre un groupe qui, de fait, discutait bon an mal an avec l’Azerbaïdjan et un groupe qui appelait à “sauver” l’Artsakh des “traîtrises” et de la “capitulation totale”. Ce dernier est une coalition entre les anciens présidents du Haut-Karabakh, Bako Sahakyan (qu’Harutyunyan avait pourtant servi en qualité de Premier ministre de 2007 à 2017) et Arkady Ghukasyan, auxquels s’est joint Ruben Vardanyan. Ce groupe a fini par avoir raison de Harutyunyan. Exemple parlant: en juin 2022, peu avant l’évacuation des villages arméniens de Berdzor, Sus et Aghavno, rendue inévitable par la nécessité d’un tracé alternatif du corridor de Latchine, l’ensemble des partis de l’Assemblée Nationale avait participé à la décision. Cette dernière, comme tant d’autres depuis le cessez-le-feu de novembre 2020, a fait l’objet d’une manipulation politico-médiatique, l’attribuant à la politique traîtresse de Pachinyan dont Harutyunyan aurait été l’exécuteur au Haut-Karabakh. Vardanyan s’est glissé dans ce groupe des “sauveurs”. Il a prétendu être prêt à discuter avec Bakou à condition que ces discussions se déroulent d’égal à égal. Mauvaise foi ou bien vœu pieu étant donnée la situation actuelle du Haut-Karabakh et le désaveu radical de sa personne par Bakou. Il a fait sien ce leitmotiv de la trahison, l’alpha et l’oméga de tous ceux qui n’ont pas d’alternative concrète à proposer, à Stepanakert comme à Erevan.
Samvel Babayan est le seul, depuis plusieurs mois, à exposer une ligne claire et pragmatique par rapport aux questions essentielles auxquelles font face les Arméniens du Haut-Karabakh. Partisan de discussions directes entre Bakou et Stepanakert, n’importe où, n’importe quand, et surtout sans médiateur, dans le but de sortir la population de la situation dramatique dans laquelle elle se trouve. Malgré des désaccords avec Harutyunyan, qui pour sa part mettait des conditions aux discussions, Babayan a condamné clairement et fermement les jeux politiques visant à renverser Harutyunyan et par conséquent à affaiblir les institutions du Haut-Karabakh à un moment aussi critique. Il a encore répété ses propositions après la démission de Harutyunyan, déclarant qu’il ne prendrait pas part à un vote joué d’avance. Il a enfin dénoncé les intentions de déstabiliser le gouvernement arménien via le changement de pouvoir à Stépanakert. Il a par ailleurs appelé les citoyens du Haut-Karabakh à ne pas rester indifférents devant ces événements et à manifester le jour de l’élection.
Une mobilisation citoyenne la faim au ventre paraît improbable. Les Arméniens du Haut-Karabakh mettent toute leur énergie dans la résistance physique et psychologique aux privations qu’ils endurent depuis 9 mois. Ils sont d’ores et déjà les grands perdants de ces basses œuvres par la perte de confiance dans leurs dirigeants politiques. L’élection -ou plutôt la nomination- du nouveau président du Haut-Karabakh aura lieu le 8 septembre. Selon la Constitution, le nouveau président sera élu par le parlement parmi les candidats désignés par les factions. A moins d’un coup de théâtre, il s’agit de Samvel Shahramanyan, un proche de Bako Sahakyan et ancien directeur des services de renseignements. Il devrait exercer ses fonctions jusqu’à la fin prévue du mandat de Harutyunyan, soit 2025; date, on le notera, du départ prévisible des forces d’interposition russes du Haut-Karabakh.
Taline Papazian