Alors que les tensions persistent entre Erevan et Bakou malgré l’arrêt des hostilités ouvertes, les discussions sur un accord de paix global se poursuivent difficilement. D’un côté, l’Arménie propose une normalisation fondée sur la reconnaissance mutuelle de la souveraineté, la démarcation des frontières et l’ouverture des communications. De l’autre, l’Azerbaïdjan insiste sur une révision constitutionnelle arménienne et le démantèlement de tout ce qui pourrait raviver les revendications sur le Haut-Karabakh. Dans ce contexte délicat, l’émission « Dilemme », consacrée aux questions de sécurité, a réuni deux experts : Rusif Huseinov, directeur du Centre Topchubashov, et Areg Kochinyan, directeur du Centre de recherche sur la politique de sécurité. Ensemble, ils ont abordé les points de blocage, les perceptions divergentes, et les pistes de sortie de crise.
Pourquoi l’accord n’est-il toujours pas signé ?
L’émission s’ouvre sur une question apparemment simple : pourquoi l’Azerbaïdjan tarde-t-il à signer le traité de paix ? Huseinov évoque six points clés qui, selon lui, structurent les négociations : deux clauses du traité encore délicates (la présence d’observateurs tiers à la frontière et l’abandon des recours juridiques), deux obstacles institutionnels (la Constitution arménienne et le Groupe de Minsk), et deux enjeux logistiques (la démarcation frontalière et l’ouverture du corridor de Zanguezour).
Selon Kochinyan, ces hésitations ne tiennent plus : les points sont, pour la plupart, convenus, mais leur application ne pourra être enclenchée qu’à partir de la signature et la ratification du traité. Il rappelle que l’Arménie a proposé de dissoudre formellement le Groupe de Minsk en parallèle de la signature de l’accord, un geste symbolique fort de fermeture d’un chapitre conflictuel.
Des négociations encore très fragiles
Les négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan butent sur plusieurs obstacles majeurs. Le Groupe de Minsk, considéré comme obsolète par Bakou depuis la déclaration américaine de janvier 2023, doit être formellement dissous selon les experts, idéalement en parallèle de la signature d’un traité de paix selon Kochinyan. Le préambule constitutionnel arménien, qui évoque la déclaration d’indépendance de 1991 faisant référence au Haut-Karabakh, reste une pierre d’achoppement pour l’Azerbaïdjan. Kochinyan nuance : cette déclaration n’a pas de valeur juridique, elle est un texte politique à portée symbolique, qui ne saurait engager des obligations internationales. Les deux experts s’accordent néanmoins sur un point : s’il existe une volonté politique réelle, une formulation alternative pourrait être trouvée, de manière à rassurer Bakou sans renier la souveraineté arménienne.
L’ouverture des communications, notamment le passage de Zanguezour vers le Nakhitchevan, divise également les parties : Bakou réclame un « passage sans entrave » tandis qu’Erevan craint un statut extraterritorial, bien que l’Arménie ait garanti publiquement l’ouverture sous réserve de sa souveraineté. La démarcation frontalière et la question des enclaves soviétiques demeurent en suspens, tout comme le choix de la plateforme de négociation, ni l’Arménie ni l’Azerbaïdjan n’étant enthousiastes face aux propositions de médiation russe, préférant respectivement Bruxelles et éviter l’alignement exclusif.
Au delà des discours : l’absence de certains sujets
Si ces débats sont indispensables à la construction progressive d’un dialogue arméno-azerbaïdjanais, de nombreuses questions demeurent à l’issue de cette discussion. Certains sujets sensibles, comme le concept d’ “Azerbaïdjan occidental” utilisé à Bakou ou la question de l’effacement, présent comme passé, de la présence arménienne au Haut-Karabagh, n’ont pas été abordés. Cela révèle un dialogue encore timide, où les acteurs de la recherche et de la société civile ne peuvent encore traiter tous les sujets de fond.
Les non-dits de ce débat tendent à montrer que les négociations seront encore longues, et qu’un travail considérable devra être accompli des deux côtés pour établir une paix durable dans la région et rétablir dialogue et communications. Dans ce contexte, les déclarations du Premier ministre arménien au forum GLOBSEC 20251“Pashinyan says Armenia ‘needs’ to sign peace treaty with Azerbaijan by end of 2025”. OC Media. 16 juin 2025. Lien vers l’article sur une éventuelle signature avant la fin de l’année doivent être envisagées avec prudence. Par ailleurs, le contexte géopolitique extrêmement tendu lié à l’attaque israélo-américaine sur l’Iran vient complexifier davantage une situation déjà particulièrement fragile.
À l’issue de cette discussion, un constat s’impose : la paix est techniquement possible, mais elle reste politiquement vulnérable. Les blocages ne sont pas insurmontables, mais ils exigent des gestes symboliques, des concessions réciproques, et surtout une volonté réelle de tourner la page. Il convient aussi que Bakou respecte l’intégrité territoriale de l’Arménie. Comme l’a rappelé Kochinyan en conclusion, signer un traité de paix avec un Premier ministre légitime revient à signer la paix avec le peuple arménien. Reste à espérer que cette conviction trouve un écho de l’autre côté de la frontière.