Par Taline Papazian
Le 7 décembre, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont fait une déclaration conjointe dans laquelle ils parlent de « chance historique de parvenir à une paix attendue de longue date dans la région ». La normalisation des relations et un futur traité de paix sur la base du respect des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale sont posés. Gage de ces bonnes paroles, un geste « d’humanisme » : la libération de 32 otages arméniens, soit à peu près la moitié du nombre total, contre 2 azéris. Leur libération est encore attendue au moment de la publication de ce Débrief. Un soutien diplomatique réciproque est annoncé : soutien de l’Arménie à la candidature de l’Azerbaïdjan pour accueillir la prochaine COP (pour laquelle l’Arménie retirera par conséquent la sienne) et soutien de l’Azerbaïdjan à l’inclusion de l’Arménie dans le bureau Europe orientale de la COP.
L’événement est sans précédent en ce qu’il ne porte aucune signature de partie tierce. Même si les partenaires occidentaux ont contribué à ce résultat par la pression diplomatique mise ces dernières semaines sur Bakou pour revenir à des discussions, la négociation a été bilatérale. 2024 sera une année d’élections, de Moscou à Washington en passant par Bakou, où elles auront lieu avec 18 mois d’avance. L’Azerbaïdjan est aujourd’hui en position optimale pour un hypothétique traité de paix, au plus près des victoires militaires. La déclaration conjointe du 7 décembre, si elle ne signale pas une percée dans les discussions et une activation stable du processus diplomatique, aura simplement été une manière de gagner du temps pour Bakou. L’Arménie a fort à faire pour maintenir vigilantes et mobilisées les capitales occidentales, les seules ayant un intérêt quelconque à parvenir à trouver une issue au conflit.
L’événement est sans précédent en ce qu’il ne porte aucune signature de partie tierce. En d’autres termes, même si les partenaires occidentaux ont, sans aucun doute, contribué à ce résultat par la pression diplomatique mise ces dernières semaines sur Bakou pour revenir à des discussions, la négociation a été bilatérale. Cet événement a été salué par l’ensemble des acteurs importants, de Moscou à Washington en passant par Ankara, avec des tonalités différentes d’une capitale à l’autre. La libération annoncée de 32 otages, soit à peu près la moitié du nombre total, contre deux militaires azéris -dont un ayant assassiné de sang-froid le gardien de la déchetterie d’une société minière près de Kapan, dans le Syunik, en avril 2023- est, si elle prend effet, le premier geste de bonne volonté de l’Azerbaïdjan en trois ans. Dans l’immédiat, c’est une joie immense que le retour annoncé de ces 32 militaires en captivité depuis 2020 et 2021, et une angoisse ravivée pour les familles des plusieurs dizaines d’autres qui n’auront pas la chance de rentrer.
Alors que le processus de négociations semblait dans l’impasse et que l’Azerbaïdjan a refusé le format européen à deux reprises depuis le nettoyage ethnique de l’Artsakh, assiste-t-on à une percée dans les discussions ou est-ce une manière de gagner du temps pour Bakou ? L’Arménie est la partie la plus intéressée à un traité de paix. Après ce premier pas, elle doit poursuivre ses efforts pour maintenir la vigilance et l’intérêt des partenaires, notamment occidentaux puisque, de fait, ce sont les seuls à intervenir dans le processus de négociations en dehors de la Russie. Que peut-on attendre de l’Azerbaïdjan dans le processus diplomatique ?
Avant de répondre à cette question, un certain nombre de développements attendus dans les prochains mois sont à prendre en compte. 2024 sera une année d’élections. Elles sont prévues en Russie au mois de mars, pour le Parlement européen en juin –les députés européens sont plus proactifs dans leur engagement diplomatique au Caucase que le Conseil ou la Commission-, en novembre aux États-Unis, où l’alternative démocrates/républicains aura des conséquences certaines pour le Caucase du sud. Ces contextes électoraux indiquent que l’attention de la Russie sur le Caucase sera moindre en février-mars 2024, tandis que l’engagement occidental sera fortement réduit de mi-avril à mi-novembre au moins. Juste avant toutes ces élections, il y aura eu, très probablement, la réélection d’Ilham Aliyev à la présidence de l’Azerbaïdjan. Le président vient de s’en assurer en signant, le même jour que la déclaration commune avec l’Arménie, un décret annonçant une élection présidentielle anticipée de 18 mois, sans aucune justification. Celle-ci se déroulera dans moins de deux mois, le 7 février 2024, au lieu d’octobre 2025. Après avoir abrogé le nombre maximum de deux mandats consécutifs en 2009, puis étendu le terme de la mandature de 5 à 7 ans et nommé son épouse vice-présidente, en 2016, le président Aliyev vient probablement de se garantir un nouveau mandat de 7 ans qui l’amènera donc jusqu’en 2030.
Comment interpréter cette décision dans le cadre du conflit avec l’Arménie ? La popularité d’Aliyev est incontestable dans son pays depuis qu’il a conquis partie (2020) puis tout (2023) de l’ancienne région autonome du Haut-Karabakh. La direction militaro-politique azerbaïdjanaise souhaite clore le dossier du Haut-Karabakh définitivement. Elle est aujourd’hui en position optimale pour obtenir le plus possible d’un hypothétique traité de paix : au plus près des victoires militaires, avec lesquelles Aliyevfait corps, elle sent néanmoins la pression diplomatique occidentale augmenter pour aboutir à un traité avec l’Arménie.
Deux scénarios : soit la pression se maintient, les capitales européennes et américaines montrent leur détermination à superviser le processus et à en garantir une issue positive et opérable, et dans ce cas Aliyev préfère être réélu d’abord et signer après. Soit la conjoncture internationale change de nouveau, l’engagement diplomatique au Caucase du sud diminue, et dans ce cas Aliyev extorque encore plus à l’Arménie, puis signe ou ne signe pas, modulant le degré d’agressivité de son pays en fonction de ces facteurs et également de la situation domestique en Azerbaïdjan. L’ennemi arménien écrasé, les Azerbaïdjanais seraient peut-être tentés de demander des comptes à leur président s’agissant par exemple de leur niveau de vie, de leurs droits, des inégalités, de la corruption et de la répression.
D’ici à une hypothétique signature d’un traité, tous les instruments de pression, au premier chef militaires, restent dans les mains de l’Azerbaïdjan. Il semble que l’objectif minimum en termes militaires soit de s’assurer le contrôle de tous les points stratégiques sur la frontière entre les deux pays. L’attaque à grande échelle de plusieurs dizaines de villes et villages en septembre 2022 le signalait. Les positions conquises à ce moment-là sont nettement à l’avantage de l’Azerbaïdjan. En prenant toutes les hauteurs stratégiques à la frontière, les Arméniens se retrouvent encaissés. Le plan plus ambitieux pourrait être de lancer des opérations militaires contenues à différents points du territoire pour contraindre l’Arménie à davantage de concessions. À l’instant présent, l’Azerbaïdjan ne semble pas pouvoir activer une option militaire : le nettoyage ethnique de l’Artsakh est en voie de digestion et une certaine pression existe. À Bakou, la rhétorique des dernières semaines a changé de registre : le« corridor du Zanguezour » a cédé le pas aux « enclaves azerbaïdjanaises » et aux « droits des Azéris d’Arménie » dans un miroir pour Alyiev, avec les Arméniens du Haut-Karabakh, et non les Arméniens de l’Azerbaïdjan soviétique. Compte tenu de ces développements, la période entre fin mars 2024 et septembre 2024 pourrait ouvrir de nouvelles opportunités pour Bakou. La déclaration conjointe du 6 décembre, si elle ne signale pas une percée dans les discussions et une activation déterminée du processus diplomatique, aura simplement été une manière de gagner du temps et de permettre à Aliyev de voir venir.
Pour l’Arménie, qu’en est-il ? À la partie faible, un traité est nécessaire. Mais l’Arménie ne maitrise pas le tempo des discussions et n’a aucune carte en main. Elle a néanmoins fort à faire pour maintenir vigilantes et mobilisées les capitales occidentales, les seules ayant un intérêt quelconque à trouver une issue au conflit. L’Arménie a refusé des discussions sous l’égide de Moscou, à raison. Étant donné les intérêts stratégiques congruents de la Russie, de la Turquie et de l’Azerbaïdjan et le lourd passif de la Russie en tant que médiateur et force d’interposition, Moscou n’a rien à offrir aux Arméniens. Seuls l’existence d’un processus et sa participation à titre de partie dominante intéressent Moscou. Les discussions bilatérales avec l’Azerbaïdjan, pour déséquilibrées soient-elles, sont importantes et nécessaires. Elles n’excluent pas et, au contraire, vont de pair avec une supervision internationale.
Pour que l’avenir ne ressemble pas au passé, l’Arménie cherche dans le dessin plus large de toutes ces tractations de quoi surmonter les défaillances mises en évidence par les défaites des dernières années. Premièrement, réduire sa dépendance économique, énergétique et militaire par rapport à la Russie. En la matière, de timides progrès existent dans le domaine militaire, quasiment aucun dans le domaine énergétique. Quant à l’économie, la dépendance du commerce extérieur de l’Arménie par rapport à la Russie n’a jamais été aussi forte que depuis la guerre en Ukraine. Deuxièmement, devenir un partenaire économique et commercial nouant la région eurasienne avec l’occidentale d’une part et moyen-orientale d’autre part. En contrepartie d’une voie de communication spéciale qu’elle octroierait à l’Azerbaïdjan par le sud, l’Arménie pourrait amener la discussion sur une voie commerciale qui contribuerait à la désenclaver via la Turquie. À cet égard, l’établissement de relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite, annoncée fin novembre, est significative et contribue à rouvrir l’Arménie sur le Moyen-Orient. Concernant l’Eurasie, la route nord-sud, commencée depuis des années et qui avance bien lentement, permettrait, par exemple, d’intéresser l’Inde, un partenaire particulièrement bien disposé envers l’Arménie.