L’article de L’Express, publié le 23/09/2023 par Emma Collet
Les autorités azéries ont obtenu la reddition des autorités de l’enclave arménienne du Haut-Karabakh. La pression politique et militaire s’accroît sur l’Arménie.
“Pachinian, traître !”, entend-on parmi les centaines de personnes rassemblées sur la place de la République au centre de la capitale arménienne, ce mercredi 20 septembre. Désorientés par l’offensive éclair menée la veille par les Azéris dans le Haut-Karabakh, enclave arménienne d’Azerbaïdjan, beaucoup d’habitants d’Erevan cherchent surtout à prendre des nouvelles de leurs familles restées là-bas. Mais d’autres prennent pour cible le Premier ministre Nikol Pachinian. L’annexion du Haut- Karabakh s’est en effet déroulée sans le soutien militaire de l’Arménie. “Cela lui permet de sortir de cette crise sans se compromettre, car ce sont les autorités du Karabakh elles-mêmes qui ont accepté les conditions de l’Azerbaïdjan”, explique Richard Giragosian, expert de la géopolitique du Caucase. Mais les 120 000 Arméniens de l’enclave font face à un risque sérieux de “nettoyage ethnique” par les autorités azéries, qui ne leur ont concédé aucune garantie solide après l’annexion. “Ils sont à la merci d’un gouvernement de Bakou qui n’a pas hésité à tuer les leurs et ne leur donne même pas le droit de fuir !”, alerte Hovhannès
Guévorkian, représentant de la République d’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabakh) en France. Le blocage depuis dix mois du corridor de Latchine, la route reliant l’enclave à l’Arménie, qui a asphyxié la population, a préparé le terrain à l’annexion.
L’avenir de l’enclave fragilise le Premier ministre arménien, désormais persuadé qu’un coup d’Etat est en préparation. “L’opposition ne représente pas encore un danger réel, précise Knar Khudoyan, journaliste basée à Erevan. Elle est surtout prorusse et ne recueille pas la sympathie de la majorité de la population, qui estime que la Russie est largement responsable de cette situation.” De fait, l’attaque de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh s’est déroulée sans que Moscou ne s’interpose. Le contingent de 2 000 soldats russes, chargé du maintien de la paix entre les deux pays après le cessez-le-feu de 2020, était pourtant censé être responsable de la sécurité des Arméniens de l’enclave. Mais les Azéris ont multiplié menaces et agressions en toute impunité.
Déstabilisation du régime politique arménien
Le président russe Vladimir Poutine a en effet un objectif stratégique bien précis en tête. “Il espère que la défaite au Karabakh sera suffisamment déstabilisante pour créer de vrais troubles à l’intérieur de l’Arménie et, en définitive, faire tomber le gouvernement Pachinian, qui veut se libérer de la dépendance à la Russie”, analyse Taline Papazian, enseignante à Sciences Po Aix.
Au pouvoir depuis 2018, Nikol Pachinian, sans aller jusqu’à dénoncer son alliance avec la Russie, s’est aussi rapproché de l’Ouest. Mais ces dernières semaines, face à la probabilité croissante d’une attaque de l’Azerbaïdjan, le Premier ministre s’est rebellé contre son partenaire historique, en fustigeant l’inefficacité de la Russie dans le Caucase. Poutine ne porte pas dans son cœur cet homme, qui a rompu avec les pratiques des anciens dirigeants arméniens corrompus et prorusses. Son cauchemar serait que Nikol Pachinian suive les traces de l’ancien président géorgien Mikhaïl Saakachvili, réformateur et pro-occidental. Le Kremlin aurait donc tout intérêt à œuvrer pour l’arrivée au pouvoir d’un nouveau régime proche de Moscou en Arménie, comme il l’a fait en Géorgie, désormais dirigée par un gouvernement prorusse.
Intégrité territoriale menacée
Au-delà des secousses politiques, l’Arménie s’inquiète aussi pour son intégrité territoriale. A ses frontières se trouve désormais un voisin azéri renforcé militairement, et impuni pour les centaines de morts et blessés provoqués par le bombardement massif du Haut-Karabakh. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev n’a jamais caché ses prétentions territoriales sur l’Arménie. “Il y a d’abord le sud de l’Arménie, où l’Azerbaïdjan souhaite voir un” corridor” extraterritorial s’ouvrir, qui lui permettrait de relier l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhichevan. Elles visent ensuite l’est de l’Arménie, qui est appelé “Azerbaïdjan de l’ouest ” dans le discours officiel” souligne Taline Papazian.
“L’Azerbaïdjan aura cependant beaucoup plus de mal à prendre des territoires arméniens que le Haut-Karabakh, car il s’agira d’un réel conflit entre Etats”, souligne Richard Gigagosian. Mais si le soutien international est aussi inexistant que pour le Haut-Karabakh, l’Arménie a du souci à se faire.