Dans une interview en russe sur CivilNet, l’historien Altay Goyushov, directeur du Baku Research Institute, activiste pour la paix engagé de longue date et chercheur accueilli au CERI, à Paris, depuis quelques mois, a partagé une analyse sans détour des enjeux auxquels fait face l’Azerbaïdjan. De la conférence sur le climat COP-29 aux pourparlers de paix avec l’Arménie en passant par les répressions politiques dans son pays -qu’il a lui-même dû fuir-, il dresse un tableau à la fois critique et lucide des réalités de l’Azerbaïdjan.
COP-29 : Une occasion manquée pour l’Azerbaïdjan
La 29ème conférence sur le climat, qui s’est tenue récemment à Bakou, aurait dû représenter une opportunité diplomatique majeure pour l’Azerbaïdjan, qui voulait faire mieux que l’édition précédente à Dubaï. Cependant, selon Altay Goyushov, le régime n’a pas retiré les fruits escomptés de cet événement en raison d’une couverture médiatique internationale qui a largement fait place aux violations des droits de l’homme et à la répression politique.
Ces dernières années, de nombreux représentants des médias indépendants et de la société civile ont été marginalisés, voire emprisonnés. Parmi eux figure Bahruz Samadov, doctorant et militant pour la paix, dont l’arrestation symbolise, selon Goyushov, l’absence de tolérance des autorités azerbaïdjanaises envers toute voix dissidente. Dans l’ensemble, la répression a non seulement terni l’image du pays à l’international, mais aussi limité les contributions critiques nécessaires au succès d’un tel événement.
Les autorités azerbaïdjanaises ont cherché à présenter la COP-29 comme un succès, mais la faible participation de dirigeants de premier plan des États-Unis, de la France, ou encore du Vatican, contraste avec les attentes. Même les efforts visant à organiser des échanges symboliques, comme une rencontre entre journalistes arméniens et azerbaïdjanais orchestrée par le régime, n’ont pas suffi à redorer l’image du pays.
“Araz” : un réseau de dialogue universitaire
Dans ce contexte tendu, Altay Goyushov salue les résultats prometteurs de l’initiative Araz, qu’il a cofondée avec le politologue arménien Vicken Cheterian, enseignant à l’université de Genève. Ce projet vise à déconstruire les récits nationalistes autour du conflit du Haut-Karabakh et à ouvrir un dialogue entre jeunes chercheurs arméniens et azerbaïdjanais.
« J’étais sceptique au début, » admet Goyushov. Pourtant, il a été surpris de constater que, malgré des décennies de propagande hostile, les participants ont su collaborer et engager des discussions constructives. Cette initiative n’a pas échappé à la vigilance des autorités azerbaïdjanaises, qui perçoivent toute activité indépendante comme une menace.
Pourparlers de paix : Le corridor de Zanguezour en ligne de mire
Sur les négociations de paix avec l’Arménie, Altay Goyushov décrit un processus complexe, freiné par des exigences irréalistes. Le principal point de friction reste le corridor de Zanguezour, que l’Azerbaïdjan souhaite contrôler entièrement, sans intervention de l’Arménie. Cette demande, inacceptable pour Erevan, illustre les tensions persistantes entre les deux pays.
Goyushov estime que certaines exigences des autorités azerbaïdjanaises, comme la modification de la Constitution arménienne, ne sont que des prétextes pour prolonger les négociations. Ces stratégies traduisent une volonté de maintenir le statu quo, permettant par ailleurs au régime de détourner l’attention des problématiques sociales et économiques internes.
Un statu quo géopolitique fragile
Altay Goyushov rappelle que le président Ilham Aliyev a le temps pour lui. Les résultats de la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient où l’Iran est un élément clé et les relations en dents de scie entre l’Azerbaïdjan et l’Iran influencent directement ses calculs et ses mouvements au Caucase du sud.
Malgré les violations des droits de l’homme largement documentées, l’Azerbaïdjan n’a fait l’objet d’aucune sanction. Goyushov explique cela par l’importance stratégique du pays pour l’Occident, en raison de sa position entre l’Iran, l’Asie centrale et la Russie.
Un soutien populaire qui s’effrite
La victoire militaire de l’Azerbaïdjan lors du conflit du Haut-Karabakh a permis à Ilham Aliyev de consolider son pouvoir en mobilisant le soutien populaire derrière le chef victorieux. Mais ce soutien, qualifié par Goyushov de « crédit temporaire », s’érode. Les attentes d’améliorations économiques et sociales, nées de cette victoire, n’ont pas été satisfaites, faisant place à une montée des frustrations.
Une paix nécessaire mais incertaine
Altay se veut optimiste sur le fait que la société azerbaïdjanaise serait prête à faire la paix, bien qu’aucun sondage d’opinion n’existe à ce sujet. Il insiste en tout état de cause sur sa nécessité et appelle la société civile azerbaïdjanaise à en promouvoir l’idée pour ensuite passer à la reconstruction. Il estime qu’un traité de paix est essentiel pour le développement du pays.