L’ellipse des vœux du Saint Siège fait mal

Karekine II, Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens

Alors que depuis quelques années, des vœux de Nouvel An sont diffusés par le chef de l’Église apostolique arménienne, le Catholicos Karekin II, à la télévision publique arménienne, cette année seul le discours du Premier ministre aura été diffusé dans la soirée du 31 décembre. Désaccord sur la grille horaire des programmes ou mauvaise intention de la part de la direction de la chaîne ? La polémique en elle-même est peu intéressante, mais en dit long sur la fracture entre autorité traditionnelle incarnée par l’Église apostolique et l’autorité de l’État.

C’est une tradition non écrite qui a été rompue cette année. La séquence télévisuelle de la soirée du Nouvel An fait suivre chaque année les vœux du Catholicos de tous les Arméniens par ceux du chef de l’État -auparavant le Président, depuis 2018, le Premier ministre. Ce 31 décembre, les Arméniens ont célébré le Nouvel An sans la bénédiction et les paroles de réconfort de leur chef spirituel, dont ils avaient besoin plus que jamais, car H1, la grande chaîne publique, a décidé d’en changer l’horaire à la dernière minute. Le public a senti cette privation et nombreux ont été ceux qui sur les réseaux sociaux, ont diffusé le message filmé mis en ligne par Etchmiadzine. L’Église et ses plus hauts représentants sont loin d’être sans tâche. Les Arméniens sont les premiers à le dire, à les critiquer et à s’en moquer. Il y aurait également beaucoup à dire et à critiquer sur la “politique” d’Etchmiadzine -qui précisément ne devrait pas en faire-, sur ses accointances prorusses déplacées, sur ses manquements dans la construction de la paix à l’intérieur comme à l’extérieur, qui devrait être une de ses missions sacrées. 

Le contenu du message du Catholicos abordant l’occupation et le dépeuplement de l’Artsakh a-t-il déplu ? Les liens entre le gouvernement et l’Église ont connu un déclin depuis la transition de pouvoir suivant la Révolution de velours de l’Arménie en 2018. En dépit des objections de l’Église, le gouvernement a supprimé l’enseignement de l’Histoire de l’Église arménienne en tant que matière distincte du programme scolaire public au cours du même mois. Les tensions se sont intensifiées après l’issue de la Guerre des 44 jours, marquée par l’appel du chef de l’Église à la démission du Premier ministre Nikol Pashinyan. Le Catholicos a réitéré son appel au moins une autre fois, en avril 2023, n’épargnant pas entre temps les prises de position contre le gouvernement, amenant le Premier ministre à affirmer que “si l’Église souhaite s’engager dans des activités politiques, l’Arménie demeure un pays démocratique”. 

Piétiner cette tradition dans une année de tragédie nationale est injustifiable. Intentionnellement ou non, les autorités ont créé une nouvelle ligne de fracture entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, qui fait du mal à l’ensemble de la nation.