La ferronnerie de Gyumri rejoint le patrimoine de l’UNESCO

Un balcon à Gyumri

Dans le cadre de la 18e session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel à Kasane, en République du Botswana, la tradition de la ferronnerie de Gyumri, artisanat culturel, a été ajoutée à la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Gyumri, deuxième ville d’Arménie, est un lieu connu pour ses artisans ferronniers depuis le Moyen-Âge. Deux établissements spécialisés dans l’enseignement de cet artisanat fonctionnent dans la ville. 

Depuis 2006, plusieurs éléments de la culture arménienne ont été inscrits sur cette Liste, objet d’une compétition entre acteurs régionaux. Les tensions géopolitiques sont sous-jacentes à ces inscriptions par l’UNESCO. Les efforts de l’Azerbaïdjan, en particulier son influence financière auprès de cet organisme, sont évidents. Cette dernière va de pair avec a minima des manquements systématiques dans l’action de cette instance dans sa mission de protection du patrimoine culturel arménien, au Nakhitchévan dans les années 2005-2006 et au Haut-Karabakh depuis 2020. 

La République d’Arménie a ratifié la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2006. Depuis, plusieurs éléments de la culture arménienne, tels que le doudouk et sa musique, l’art des croix de pierre arméniennes, le symbolisme et le savoir-faire des khachkars, l’interprétation de l’épopée arménienne « Les enragés de Sassoun » ou « David de Sassoun », ainsi que le lavash, ont été inscrits sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Récemment, la ferronnerie, élément identitaire et culturel essentiel de la ville de Gyumri, vient de s’y ajouter.

Gyumri, célèbre pour ses écoles, ses théâtres et ses gousans (artistes créateurs et interprètes – chanteurs, instrumentistes, danseurs, conteurs et acteurs folkloriques professionnels de l’Arménie médiévale), a aussi été surnommée la “Ville de l’artisanat”. La ferronnerie, un métier répandu en Arménie depuis le Moyen Âge, s’est développée comme forme d’artisanat urbain et épanouie surtout à Gyumri au cours du 19e siècle. Les habitants s’emploient à préserver les ouvrages existants tels que les treillis de fenêtre, les clôtures, les portails, les portes, les chandeliers et les lustres confectionnés par d’anciens maîtres. Les ferronniers contemporains, dont certains sont des maîtres de la cinquième ou de la sixième génération, jouent un rôle actif dans la préservation et la transmission de la tradition de la ferronnerie urbaine, ainsi que de son histoire, de ses connaissances et de ses compétences traditionnelles. Par ailleurs, la ferronnerie est enseignée de manière formelle à travers des musées communautaires et deux établissements spécialisés d’enseignement : l’Académie nationale des beaux-arts de Gyumri et le Gyumri Craftsmanship College n°1. L’ajout de cette compétence artisanale, transmise de génération en génération, à la Liste représentative est importante en termes de durabilité, de reconnaissance et de diffusion. 

Cette liste est l’objet de stratégies concurrentes de la part des acteurs régionaux. L’Azerbaïdjan a été particulièrement actif auprès de l’UNESCO depuis le milieu des années 2000. La présence financière de l’Azerbaïdjan auprès de cette instance est connue. Elle a largement facilité une écoute très bienveillante de l’UNESCO des demandes émanant de l’Azerbaïdjan dans le cadre de la construction de son image internationale, pour ne rien dire du silence de ladite instance face aux destructions de patrimoine culturel arménien au Nakhitchevan à la même période, laissant craindre la même complicité pour le patrimoine perdu en 2020 et en 2023. Continuant à tisser sa toile dans les organisations internationales, à l’instar d’autres acteurs en pointe sur ces stratégies comme le Qatar, l’Azerbaïdjan a été élu vice-président de la 42e Conférence générale de l’UNESCO fin juillet 2023. Une mandature précédente, entre 2011 et 2019, avait fait fi de la destruction totale des khachkars de Jugha, au Nakhitchévan. Depuis la fin de la guerre des 44 jours, des actes de vandalisme et de destruction sont documentés dans le projet de recherche « Caucasus Heritage Watch » de l’Université Cornell.

Les autorités arméniennes font également plus d’efforts pour  informer les organismes et partenaires internationaux sur le problème de la protection des monuments religieux et culturels du Haut-Karabagh, notamment via le ministère de l’Éducation et des Sciences. Le ministère a notamment envoyé une série de lettres aux dirigeants de l’UNESCO afin de prendre les mesures appropriées pour protéger les monuments culturels de l’enclave. Les représentants du Parlement européen ont à plusieurs reprises pris position sur la politique azerbaïdjanaise consistant à détruire, profaner ou usurper le patrimoine religieux et culturel du Haut-Karabakh. Des organisations internationales et des associations ont exprimé des inquiétudes similaires, mettant en doute la volonté du gouvernement azerbaïdjanais de protéger et de préserver le patrimoine religieux et culturel du Haut-Karabakh et des territoires adjacents.