Après le Qatargate, bientôt un Azerbaïdjangate en Europe?

Photo par ©Arte

Dans une enquête diffusée ce mois-ci sur Arte, les journalistes Benoît Bringer et Laurent Richard mettent en lumière un vaste système de corruption dans les démocraties européennes, orchestré par le régime dictatorial de l’Azerbaïdjan pour financer sa quête de respectabilité. Divisé en deux parties ( Le pouvoir de l’argent et La machine à corrompre), le documentaire dévoile les mécanismes et les conséquences de cette corruption à grande échelle qui irradie hommes et femmes politiques de tous les pays d’Europe et dans tous les partis politiques du Parlement. Grâce au travail et aux témoignages de dissidents azerbaïdjanais -la journaliste d’investigation Khadija Ismayilova, l’activiste Emin Huseynov et l’ancien diplomate Arif Mammadov-, ce sont de nouveaux dessous du “marché de la respectabilité internationale” qui sont exposés aux citoyens européens.  

Après le scandale du Qatargate, qui avait éclaté cet hiver, mettant en lumière des pratiques de corruption et d’influence en lien avec le Qatar, un nouveau scandale pourrait éclater. A moins qu’il n’y ait trop d’intérêts pour le taire?

En 2013, un rapport sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan a été rejeté au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, malgré la mission de cette institution visant à garantir le respect des droits de l’homme. Christoph Strässer, rapporteur à l’époque, témoigne du vote négatif soudain de dizaines de parlementaires européens. Sa conclusion est sans appel: l’argent distribué par Aliev est plus fort que le respect de la démocratie.

Arif Mammadov, un précieux lanceur d’alerte ayant travaillé au sein du système, révèle comment le régime a mis en place un réseau sophistiqué de blanchiment d’argent à partir de 2010. Les gains faramineux assurés à la famille Aliev par les revenus du pétrole commençant à rentrer, une cassette de 30 millions d’euros était aussitôt pourvue à destination des politiciens européens. Après des années de silence, des enquêtes internationales ont abouti, le 25 mars 2019, à des condamnations, notamment celle du parlementaire italien conservateur Luca Volonte et de son homologue allemand Eduard Lintner, tous deux corrompus par le régime de Bakou.

« La Caviar Connection » continue de prospérer

En janvier 2020, un deuxième rapport sur les prisonniers politiques à Bakou a lui, enfin, été adopté par le Conseil de l’Europe. En mars de la même année, le pouvoir a libéré 38 de ces détenus. Les révélations faites en 2017 par Le Monde et d’autres publications européennes ont conduit à l’exclusion à vie de 14 membres du Conseil de l’Europe. Toutefois, la “Caviar Connection” est loin d’avoir été démantelée et continue de prospérer. En Azerbaïdjan, la moindre critique à l’encontre d’Aliev et de son régime, ainsi que toute aspiration à la démocratie restent sévèrement réprimées. Le gouvernement azerbaïdjanais montre régulièrement sa volonté de restreindre toute forme de critique et d’expression libre. 

En septembre 2022, Ahmad Mammadli, militant de la paix et président d’un groupe pro-démocratique en Azerbaïdjan, a été arrêté pour avoir publié plusieurs messages sur les réseaux sociaux critiquant la politique violente du gouvernement et appelant à la paix régionale avec le hashtag #YesPeace. Il avait vivement critiqué Aliev suite à l’offensive militaire contre l’Arménie, accusant Ilham Aliev d’être un dictateur aux mains couvertes de sang. Les publications pacifistes d’Ahmad Mammadli n’ont pas été sans conséquences. Il a été appréhendé par des policiers en civil le 20 septembre 2022, alors qu’il marchait dans la rue, à la veille de la Journée internationale de la paix, et condamné à 30 jours de prison.

Un autre activiste azerbaïdjanais, Amrah Tahmazov, a récemment été condamné à 30 jours de détention administrative en raison d’un message publié sur les réseaux sociaux s’adressant personnellement au président de l’Azerbaïdjan.

Photo: Amrah Tahmazov/Facebook

Ces exemples ne sont malheureusement que la partie visible de l’iceberg de la répression et de la violation des droits de l’homme en Azerbaïdjan. Ils illustrent le sort réservé aux voix dissidentes qui osent critiquer le gouvernement et exprimer des opinions pacifistes. Ces cas récents mettent en évidence le climat de peur et d’intimidation qui règne dans le pays, où la liberté d’expression est sévèrement restreinte et où la critique du régime est punie par des arrestations arbitraires et des détentions. De nombreux autres militants, journalistes et défenseurs des droits de l’homme ont également été pris pour cible en Azerbaïdjan, faisant face à des arrestations, des détentions prolongées, voire à des actes de violence physique. Ces pratiques répressives visent à étouffer toute dissidence et à maintenir le pouvoir en place sans aucune contestation.

La corruption utilisée par ce régime et d’autres semblables au sein des institutions européennes leur permet de projeter une image positive de leur pays à l’etranger, en s’appuyant sur la respectabilité supposée des parlementaires, tout en achetant leur complaisance concernant les questions des droits humains.

Au fil du temps, les preuves d’un réseau tentaculaire de corruption s’accumulent, comme en témoignent les précédentes enquêtes (celle d’Elise Lucet pour Cash Investigation en 2015) et les révélations des Panama Papers. Ces accumulations mettent en évidence la complaisance et la corruptibilité des hommes et des femmes politiques qui se font les clients des pays acheteurs de “respectabilité” internationale.  

La conjonction entre cette complaisance et le laxisme de la diplomatie européenne face aux violations des droits de l’homme perpétrées par l’Azerbaïdjan à l’encontre de la population arménienne du Haut- Karabakh est sans doute fortuite. Elle n’en rend pas moins l’Europe complice de l’étouffement des Arméniens du Haut-Karabakh.