Gerard J. Libaridian, Jirair Libaridian, est diplomate et professeur retraité de l’Université du Michigan aux Etats-Unis. Retraite très active puisqu’il enchaîne sans répit conférences, articles, livres et publications internationales. De 1991 à 1997, il a occupé plusieurs fonctions dans l’administration Levon Ter-Petrossian -premier président de l’Arménie indépendante- dont celle de conseiller spécial sur les questions de politique étrangère, de sécurité nationale et de règlement des conflits. Son expérience et sa connaissance des dossiers lui valent d’être toujours et régulièrement consulté au plus haut niveau sur ces questions.
Propos receuillis par Olivier Merlet
La Russie a-t-elle un quelconque intérêt direct ou indirect, à préserver voire à affirmer et promouvoir une Arménie indépendante, et si oui, lesquels ?
Pour répondre simplement à votre question : oui. Le Caucase du Sud, la Transcaucasie, vue de Moscou, représente un intérêt stratégique pour la Russie depuis le XVIIIe siècle. Cet intérêt a même abouti à l’occupation de son territoire au début du XIXe. Depuis lors, à l’exception d’une brève période, la région a toujours fait partie des empires russe puis soviétique ou de leur zone d’influence directe. L’Arménie constitue un segment d’une ligne de contact régionale avec la Turquie, autrefois l’Empire ottoman, historiquement présenté comme rival ou du moins, comme ayant des intérêts hostiles à ceux de la Russie. La forme et l’intensité de cette rivalité ont évolué au fil du temps, mais elle n’a pas disparu.
La relation problématique des Arméniens et de l’Arménie avec la Turquie, dominée par le génocide des Arméniens dans les derniers jours de l’Empire ottoman, s’est traduite pour les Arméniens par une peur permanente de la Turquie et des Turcs. Cette peur a constitué la base d’un positionnement politique traditionnellement antiturque, affirmé et encouragé par diverses forces intérieures et étrangères, les inclinations pro-russes de la politique arménienne ne représentent que le revers de cette médaille. Ainsi, traditionnellement, l’Arménie et les Arméniens ont été considérés comme des alliés naturels des intérêts russes dans la région. Si l’on considère l’inclinaison de l’Azerbaïdjan pour la Turquie et l’attirance de la Géorgie pour l’Occident, le rôle de l’Arménie revêt encore plus d’importance pour la Russie.
La question du Karabakh 5+2 * a maintenant évolué en une question 3+3 du Caucase du Sud et de ses voisins, dans laquelle non seulement l’Arménie mais aussi les 3 pays transcaucasiens semblent relégués au rang d’acteurs mineurs. On parle toujours de la perte de souveraineté de l’Arménie, n’en est-il pas de même, en filigrane, pour la Géorgie et l’Azerbaïdjan ?
Il me semble qu’il est encore trop tôt pour supposer que la formule 3 + 3 proposée pour un futur Caucase du Sud entraînerait une diminution de la souveraineté de l’une ou l’autre de ces trois républiques. Premièrement, parce que je ne pense pas que nous devions les considérer comme jouissant de leur pleine souveraineté. À des degrés différents et d’une manière ou d’une autre, toutes trois dépendent étroitement des autres pays et de leur voisinage immédiat, et de plus loin encore. Deuxièmement, leur situation actuelle se caractérise par une instabilité chronique non résolue depuis les années 1990. Cette “souveraineté” ne peut donc constituer un étalon à l’aune duquel on pourrait mesurer les effets d’un arrangement futur.
Il existe de nombreuses façons d’envisager la formule 3 + 3. L’une d’entre elles pourrait prendre la forme d’un accord préalable entre les trois républiques du Caucase du Sud, réunies sur la base de certains principes de coexistence pacifique et de coopération régionale. Il serait ensuite soumis à l’acceptation de leurs trois grands voisins, dans la reconnaissance de leur souveraineté individuelle et de leur entente mutuelle. Un tel scénario conforterait la souveraineté du groupe initial des trois états transcaucasiens et préviendrait toute rivalité à leur égard de la part de leurs trois grands voisins et toute velléité de ceux-ci à interférer dans leurs relations internes.
Dans notre Livre blanc, par exemple, nous proposons ce qui pourrait constituer la base d’un tel processus. Nous l’avons appelé le “principe de neutralité”. Selon nous, si en plus de la coopération régionale, les trois républiques du Sud-Caucase posent la neutralité en tant que principe fondateur, alors “l’accord 3+3” ne peut plus courir le risque d’être considéré de quelque manière que ce soit comme antagoniste aux intérêts des grandes puissances avec lesquelles les trois grands voisins peuvent nourrir certains différends. Par conséquent, l’Europe et les États-Unis ont toute possibilité de s’engager à respecter cet accord et éviter de projeter leurs problèmes dans la région. Je suis sûr qu’il peut y avoir de nombreux scénarios possibles.
L’essentiel ici est que le deuxième trio, soit la Russie, l’Iran et la Turquie, et, par extension, les grandes puissances plus éloignées, s’engagent dans une politique (a) d’abstention de toute tentative de domination sur la région, (b) de non-ingérence dans les affaires intérieures des républiques et (c) de ne pas les traiter comme les pions de leur échiquier.
Les craintes que vous évoquez dans votre question seraient plus justifiées si par 3+3, on entendait la domination conjointe du deuxième trio sur le premier, celui des puissances régionales dont nous parlons sur les trois républiques de Transacaucasie.
Vous conviendrez qu’il reste cependant difficile d’imaginer que l’Azerbaïdjan puisse se rallier à ce concept de neutralité ?
À mon avis, des trois républiques, c’est l’Azerbaïdjan qui a le plus à gagner d’une position neutre. Si elle entretient des liens très étroits avec la Turquie, elle en fait de même avec la Russie, et d’une manière générale, avec l’Iran, malgré toutes les frictions qui peuvent ponctuer les relations de Bakou avec ces dernières, en particulier avec l’Iran, qui parfois deviennent très vives.
En fait, le cas de la Géorgie risquerait de poser d’avantage de problème en raison de son désir de rapprochement avec le bloc de l’Ouest, et malgré le fait qu’elle ait perdu l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, en raison même de cette politique visant à inciter la venue de l’OTAN dans la région. À la même époque d’ailleurs, la reconnaissance par l’Occident de l’indépendance du Kosovo avait entraîné la riposte de la Russie par la reconnaissance officielle de l’indépendance de ces deux régions et son immobilisme pendant la guerre.
C’est exactement pour toutes ces disparités, chaque république recherchant sa souveraineté et sa sécurité dans différentes directions, que la neutralité est nécessaire. La concrétisation de la neutralité est un long processus et si le concept, sa dénomination en tant que tel, pose problème, il est toujours possible de lui trouver une autre appellation.
Les accords du 10 novembre ont permis à la Russie de reprendre pied dans le Sud-Caucase, au sens littéral du terme, après 30 ans “d’absence”, tout au moins dans sa partie orientale et au moins provisoirement. Pensez-vous qu’elle veuille et puisse maintenir cette position au-delà des 4 années restantes de son mandat ?
Je pense que la Russie aimerait rester en Azerbaïdjan pendant longtemps encore. Ses investissements dans les infrastructures de ce qui reste du Haut-Karabakh, la gestion de sa présence militaire dans la région et sa volonté d’en obtenir mandat officiel m’incitent à penser qu’en fait, les plans de la Russie s’envisagent sur le long terme.
Je doute toutefois que l’Azerbaïdjan soit très enthousiasmé par cette perspective. Bakou a indiqué qu’elle ne pensait pas que les soldats de la paix russes auraient besoin de rester en Azerbaïdjan pendant très longtemps.
Dans cet accord 3+3, quels sont les rapports de force objectifs entre la Russie et de la Turquie (qui craint l’autre ?) et puisque l’on parle d’intérêt commun “temporaire”, quel pourrait être la pierre d’achoppement entre ces deux puissances régionales.
Un accord 3 + 3 pertinent supposera que les trois grandes puissances, Russie et Turquie en premier lieu, auront effectivement abandonné toute velléité de domination sur la région. Cela constituera d’ailleurs un excellent point de départ pour le règlement de toutes les rivalités.
La collaboration russo-turque, récente, repose sur la prise en compte de leurs intérêts communs, la gestion de leurs différends et de leurs rivalités. Ce faisant, la Russie est parvenue à écarter l’Europe et les États-Unis des processus majeurs en cours dans la région et à creuser le fossé entre l’Occident et la Turquie.
La Turquie, quant à elle, a profité de l’occasion pour accroître sa présence et son influence en Azerbaïdjan et dans le Sud-Caucase. La Turquie s’est ainsi imposée, à la barbe de l’Occident, comme son recours dans le long processus de résolution du conflit du Karabakh. À ce titre, il est important de rappeler que le conflit du Karabakh avait un temps représenté la porte d’entrée des États-Unis dans la région.
Il n’est pas interdit d’imaginer, vues l’ampleur et la complexité des questions sous-jacentes aux relations entre la Turquie et la Russie, que l’équilibre trouvé puisse être rompu et que leurs intérêts concurrents ou leurs divergences prennent le pas sur les intérêts communs, moteurs actuels de leur relation.
La gestion conjointe russo-turque de la situation pourrait être mise à rude épreuve si l’Azerbaïdjan, par exemple, exigeait le retrait de son territoire des forces russes de maintien de la paix à la fin des cinq années prévues dans la déclaration de cessez-le-feu du 9 novembre, et que la Russie refuse de le faire. Le soutien inconditionnel de la Turquie aux politiques azerbaïdjanaises – dont certaines sont peut-être alimentées par la Turquie elle-même – transformerait certainement une confrontation Azerbaïdjan-Russie en une confontation Azerbaïdjan/Turquie-Russie. N’oublions pas que pour la Turquie, son alliance avec l’Azerbaïdjan relève d’une perception de similarités d’identités ethniques/culturelles et pas seulement stratégique. Celles-ci sont souvent ressenties avec beaucoup plus d’intensité que les intérêts économiques ou même stratégiques.
Un tel clivage pourrait également être causé par la question du statut du Haut-Karabakh. Bakou, victorieuse, considère ce problème fondamental comme résolu. Moscou, qui de son côté a plus d’une fois accepté l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan comme base de la résolution du conflit, a insisté pour que la “question du statut” – quel que soit le sens que Moscou ou d’autres donnent à ce terme – ne soit discutée qu’après un certain laps de temps durant lequel les deux peuples devraient réapprendre à vivre ensemble.
Un retour à des relations plus antagonistes pourrait encore se produire si la Turquie, pour ses propres raisons, décidait qu’elle doit améliorer ses relations avec l’Occident en réintégrant le moule OTAN et participe de fait à ce qui peut être décrit comme une nouvelle guerre froide.
Il est clair que si de nouvelles relations de pouvoir se sont instaurées, un nouvel ordre mondial n’a pas vu le jour. Il s’agit là d’un échec fondamental des grandes puissances qui tentent encore de revendiquer leur leadership dans la bonne marche du monde, y compris les États-Unis. Les réels bénéficiaires en ont été les nouvelles grandes puissances, comme la Chine ainsi que les puissances moyennes comme la Turquie et Israël et, dans une certaine mesure, l’Iran.
Le rôle de l’Iran, partie prenante de la solution 3+3 pour la normalisation de la situation dans la région, n’apparait pas aussi fondamental, pas au même niveau, que celui de la Turquie et de la Russie. Doit-il être considéré avec la même importance et pourriez-vous le caractériser plus précisément ?
L’Iran a des frontières communes à la fois avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Étendues en ce qui concerne l’Azerbaïdjan, courtes mais hautement stratégiques avec l’Arménie. De ce fait, contrairement à la Turquie ou à la Russie, l’Iran a été directement affectée par l’impact de cette guerre à ses frontières, et ce de diverses manières. Néanmoins, l’Iran s’est toujours comporté, tout au long du conflit, de manière correcte et responsable. Elle a su maintenir des relations diplomatiques avec l’Arménie et avec l’Azerbaïdjan et a mené de manière soutenue une initiative pour la paix, pendant les premières années du conflit. L’Iran a fait preuve de retenue et de sagesse. Lorsque l’on évalue l’importance et la politique d’un pays, il est important d’examiner non seulement ce qu’il a fait, mais aussi ce qu’il aurait pu faire et n’a pas fait.
En raison de cette retenue, le rôle de l’Iran en tant qu’acteur régional dans le Sud -Caucase est resté moins visible mais non moins important. Il semble peut-être secondaire vu de l’extérieur, mais si l’on regarde de l’intérieur, il est tout à fait considérable.
Les trois républiques ont des liens culturels historiques avec l’Iran, puissance dominante dans la région, avant la Russie. L’Iran partage avec l’Azerbaïdjan le culte chiite musulman et une minorité très importante de citoyens azéris sont d’origine turque. Les Arméniens, quant à eux, constituent la plus grande minorité religieuse d’Iran. L’Iran et l’Azerbaïdjan sont deux pays de la mer Caspienne et tous deux sont des producteurs de pétrole et de gaz, ce qui en fait des rivaux à certains égards. Mais leur relation comporte une dimension encore plus sensible : L’Azerbaïdjan a été utilisé par des puissances extérieures pour affaiblir l’Iran et lui créer des problèmes.
D’un point de vue stratégique, les 42 km. de frontière entre l’Iran et l’Arménie font du territoire sud de l’Arménie l’une des zones terrestres les plus critiques du monde sur le plan international. Pendant et après la guerre de 2020, alors que l’on craignait que l’Azerbaïdjan ne franchisse cette frontière pour se connecter directement à son exclave du Nakhitchevan, l’Iran a clairement indiqué qu’elle ne tolérerait aucune modification des frontières internationales existantes.
À quelques jours du 9 novembre, les discussions vont bon train en Arménie quant à la signature de cet accord englobant la question des enclaves et des voies de communication. Le gouvernement actuel peut-il refuser de le signer ? L’Arménie peut-elle rejeter un tel accord ?
L’Arménie dispose d’une marge de manœuvre limitée vis-à-vis de ce qu’elle peut et ne peut pas faire. Elle n’a d’autre choix que celui de respecter la déclaration de cessez-le-feu du 9 novembre. Certaines dispositions peuvent être sujettes à différentes interprétations, mais pour autant, elles n’ouvrent la voie à aucune échappatoire. L’Arménie n’a pas non plus la capacité de résister aux pressions.
Je ne suis pas en mesure de discuter des spécificités des documents qui sont sur la table des négociations. Je ferais juste ce commentaire : L’Arménie peut être en mesure de faire valoir les nuances autorisées par les interprétations possibles de certaines parties de la déclaration de cessez-le-feu du 9 novembre, mais elle n’a pas d’autre choix que d’appliquer ses dispositions. Le simple fait de souhaiter que la guerre cesse ne peut réparer les dommages causés avant et pendant la guerre. La guerre a été stoppée sur la base des concessions auxquelles la partie arménienne a été contrainte. Penser que ces concessions puissent se révéler nulles et non avenues, une fois de plus par chance ou par manœuvre astucieuse, c’est la voie ouverte à de nouveaux problèmes.
Vos travaux et publications passées ont à plusieurs reprises et depuis longtemps mentionnes ce que devait et ne devait pas être la politique étrangère de l’Arménie, notamment sur la résolution de la question du Karabakh. L’histoire vous a donné raison. Pensez-vous que ce travail collectif d’experts sera davantage écouté et surtout suivi dans les faits et sur quelles recommandations ?
Ce que vous dites est malheureusement vrai. Beaucoup de choses auraient pu être évitées si les dirigeants au pouvoir avaient utilisé la même logique, s’ils avaient pris en considération les mêmes réalités que certains d’entre nous relevaient au fil des ans. Notre position était considérée dans le meilleur des cas comme une opinion différente, au pire comme défaitiste. En fait, la différence résidait dans les mentalités. Entre celles de ceux qui fondaient leur politique sur des vœux pieux, aveugles à ce qui se préparait, et ceux d’entre nous qui reconnaissaient des réalités difficiles à admettre mais nécessaires à conduire un changement radical des relations de pouvoir et à formuler des politiques pragmatiques et adaptées.
La guerre de 2020 semble avoir marqué une différence dans la pensée de nombreuses personnes, y compris de certains dirigeants qui se sont souvenus de notre position et l’apprécient désormais. Je ne peux pas dire dans quelle mesure le nouveau pragmatisme, apparent du moins, est dû à nos écrits ou aux recommandations que nous avons faites. Je dois cependant constater avec tristesse qu’il y a encore des personnes qui refusent de reconnaître les prémisses erronées de leur politique, qui refusent d’endosser la responsabilité du sentiment d’invincibilité fabriqué avant la guerre, insistant sur le fait que leur ancienne pensée maximaliste n’avait rien à voir avec une guerre prévue et évitable.
Un mois et demi après la publication du Livre blanc, avez-vous noté une inflexion consécutive dans la politique étrangère et de sécurité du gouvernement arménien, de ses sphères diplomatiques, ou avez-vous reçu un quelconque retour de leur part ?
Le point de départ de la, et des politiques de l’après-guerre est la déclaration de cessez-le-feu du 9 novembre. Soit vous l’acceptez et la respectez, soit vous la rejetez. Il existe une rhétorique dangereuse qui appelle à son rejet, à une nouvelle guerre, et cætera. Ceux qui se revendiquent de ce camp n’ont aucune stratégie sur la manière de le faire.
J’ai remarqué un degré plus élevé de pragmatisme et d’évaluation réaliste, proche de ce que nous avons préconisé dans notre Livre blanc. Il est difficile de dire dans quelle mesure notre document l’a influencé. La volonté du gouvernement actuel d’engager des pourparlers directs avec la Turquie et l’Azerbaïdjan semble faire écho à nos recommandations, par exemple. Mais il se peut aussi que la sagesse de cette conclusion se soit imposée à lui d’elle-même. Que notre document l’ait encouragé à le faire, je ne saurais le dire.
Je peux juste observer que notre Livre blanc a été lu et étudié par une partie notable des faiseurs d’opinion, des dirigeants politiques et du grand public. Ce n’est pas un document facile à lire, il est long et complexe, et, bien sûr, il n’est jamais facile d’affronter ni ses propres échecs ni réalité crue.
Comment expliquez-vous le fossé qui existe en Arménie, si tant est que le phénomène lui soit propre, entre la réflexion intellectuelle d’experts éclairés, souvent exprimée, et la conduite concrète des affaires politiques ?
Je comprends le terme “politique” comme recouvrant deux acceptions : le discours des élites gouvernementales, politiques et intellectuelles, d’une part, et sa perception par le grand public, d’autre part. Le premier est censé informer, éclairer et offrir des options, le second est censé faire un choix éclairé au vu de ces recommandations.
Il est regrettable que la transparence, un discours clair et un débat raisonné ne soient pas les points forts de notre système politique, que l’on parle du gouvernement ou des dirigeants politiques. En général, l’éventail des opinions politiques a été limité par trop de tabous, par la peur d’être affublé de noms désagréables, par la simple sagesse [NDLR : orig. “conventionnal wisdom] , et les peurs traditionnelles. Savoir dire la vérité et réveiller la conscience citoyenne n’ont pas été les points forts de nos élites. Bien peu de leaders ont osé défier les peurs traditionnelles. Il en va de même pour les soi-disant groupes de réflexion. Cette ribambelle d’experts, porte-paroles d’idéologies et de positions conventionnelles se garde bien de sortir de sa zone de confort.
Pendant plus de deux décennies, nos dirigeants ont vendu au peuple un mode de pensée particulièrement problématique, fondé sur le nationalisme et le maximalisme. Ils ont ensuite reproché au peuple de ne pas être prêt pour la paix et pour des concessions mutuellement acceptables. Les dirigeants ont martelé l’idée que la partie arménienne était en mesure de convaincre le monde de la justesse de sa cause, ils ont assuré au peuple que nous gagnerions à coup sûr si la guerre arrivait. Ils étaient certains que nous avions le temps. Ceux qui recommandaient d’autres politiques fondées sur un ensemble de prémisses différentes étaient ignorés et calomniés. Ce n’est pas propre à l’Arménie, comme vous le suggérez, mais c’était une attitude que l’Arménie ne pouvait se permettre. Le résultat a été le désastre de 2020, dont nous supporterons encore les conséquences pendant un certain temps.
* La formule “Karabakh 5+2” – “5+1+1” en fait – se rapporte à l’ensemble de regions constitué par la République autonome du Karabakh, sa “ceinture sécuritaire” des 5 régions azéries prises pendant la guerre et la province de Kelbajar, constituant la continuité territoriale avec l’Arménie, indépendamment du corridor de Latchine. L’accord 3+3 correspond au format de la proposition de Sergeï Lavrov d’un réglement interne aux 3 républiques du Sud-Caucase – Arménie, Géorgie, Azerbaîdjan – reconnu, avalisé et grarantit par les 3 puissances règionales; la Russie, la Turquie et l’Iran.