Handicap en Arménie : entre avancées et défis persistants

Zaruhi Batoyan, ancienne ministre du Travail et des Affaires sociales, lors d’une interview en 2021. © Aravot

par Elodie Gavrilof

La semaine dernière, Mannig Georgelin a publié un article intitulé “How does one get around in a wheelchair in Armenia?”1GEORGELIN Mannig. “How does One Get Around in a Wheelchair in Armenia ?”. EVN Report. 2 octobre 2025. Lien vers l’article , dans lequel elle raconte son expérience à Erevan en tant que jeune femme en fauteuil roulant. Mannig ne vit pas en Arménie ; elle y compare ses deux derniers voyages, à dix ans d’intervalle, et partage ses observations. À sa — bonne — surprise, elle a constaté d’importants changements dans le regard des passants.

La question du handicap est d’autant plus actuelle qu’elle a pris une nouvelle dimension depuis 2020. Le regard de la société arménienne sur le handicap a beaucoup évolué ces dernières années, même si le pays reste très peu accessible aux personnes en fauteuil roulant, surtout en dehors du centre de Yerevan. Bien que des lois existent depuis le début des années 1990 — comme la loi de protection sociale des personnes en situation de handicap adoptée en 1993 ou la ratification en 2010 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CRPD) —, la réalité reste difficile : le pays demeure largement inaccessible, et les préjugés envers les handicaps physiques ou mentaux ont limité l’inclusion des personnes en situation de handicap. Des projets prometteurs sont en cours, et le système d’assurance maladie, qui doit entrer en vigueur l’an prochain, prévoit une prise en charge intégrale des frais liés aux soins nécessaires aux personnes en situation de handicap.

Des personnalités comme Zaruhi Batoyan, devenue ministre du Travail et des Affaires sociales en 2019, ont marqué un tournant. Se déplaçant elle-même en fauteuil roulant, celle-ci a permis une meilleure visibilité des personnes en situation de handicap dans l’espace public. Elle a quitté son poste en novembre 2020, puis a été élue députée en 2021 pour le Contrat civil. Lauréate en 2016 du prix de l’OSCE pour la promotion de l’inclusion, elle reste engagée sur ces questions. Pourtant, c’est surtout la guerre et son impact sur de nombreuses familles qui ont progressivement fait évoluer les mentalités, comme le décrit Mannig Georgelin. Des start-ups comme Armbionics ou Oqni fabriquent des prothèses pour les blessés de guerre ou victimes d’accidents. Des ONG se mobilisent aussi : Disability Rights Agenda (DRA), fondée en 2021, milite pour l’inclusion et propose des rapports d’expertise et des conseils juridiques. D’autres initiatives, antérieures à la guerre, montrent que ce mouvement est plus large : Therapists for Armenia, ONG américaine créée en 2019, rassemble des thérapeutes de différentes disciplines pour promouvoir l’accessibilité et l’inclusion.

Disability Rights Agenda se bat pour que la Convention des Nations unies soit correctement appliquée en Arménie. En janvier 2025, Mushegh Hovsepyan, directeur de l’ONG et expert en inclusion, a publié un rapport basé sur une enquête auprès de personnes handicapées. Il y souligne que “si l’Arménie a réalisé d’importants progrès, des problèmes systémiques persistent. Les processus d’évaluation du handicap restent excessivement médicalisés et manquent de transparence, excluant les facteurs environnementaux. Les personnes handicapées rencontrent toujours des obstacles majeurs dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins et à la protection sociale, les groupes marginalisés étant les plus touchés. Le suivi de l’accessibilité dans l’administration publique reste insuffisant, et les plans de gestion des catastrophes ignorent souvent leurs besoins. Les femmes, les enfants et les réfugiés handicapés subissent une exclusion et une discrimination accrues, limitant leurs droits et opportunités.”2Disability Rights Agenda. Shadow Report : The implementation of the UN convention on the Rights of Persons with disabilities in Armenia”. 20 janvier 2025. (P. 7) Lien vers le rapport La question de l’évaluation du handicap, par les personnes concernées et par les autorités, est au cœur des critiques de l’ONG. L’algorithme utilisé pour ces évaluations n’est pas public, ce qui rend le processus particulièrement opaque. Disability Rights Agenda a engagé des poursuites pour obtenir sa divulgation. Les tribunaux ont reconnu l’illégalité de cet algorithme, mais sans trancher sur le manque de transparence. L’ONG a fait appel, et l’affaire est toujours en cours.

Depuis quelques années, le débat porte aussi sur les questions d’inclusion de tous les enfants en milieu scolaire. Mais alors qu’une loi avait été adoptée dès décembre 2014 pour permettre une meilleure inclusion d’ici à la rentrée 2025, de nombreux acteurs constatent que, si les choses changent, les moyens mis en œuvre jusqu’à présent sont insuffisants3À ce sujet, voir notamment : HARUTYUNYAN Anna. “Inclusive Education In Armenia”. The Armenian Weekly. 19 mars 2024. Lien vers l’article. Il existe des établissements qui accueillent des élèves en situation de handicap. Certains sont publics, d’autres sont privés, comme les Petits Génies, dans le centre de Yerevan. L’établissement accueille notamment des enfants autistes, et leur permettent, à leur rythme, de mener à bien leur scolarité. Toutefois, ce type d’établissements, souvent privé, coûte cher aux familles. Toutes ne peuvent pas y envoyer leurs enfants. Par ailleurs, ce type d’établissement existe dans la capitale, mais peu dans les régions ce qui renforce les inégalités scolaires entre villes et campagnes. De fait, comme dans de nombreux autres États, la scolarité des enfants en situation de handicap dépend largement des politiques publiques et du niveau d’information des personnels dans les établissements nationaux.

Ces débats montrent à quel point ces enjeux sont contemporains en Arménie. Les crises géopolitiques ne doivent pas éclipser les questions sociales, essentielles pour des organisations comme API, qui forme aux premiers secours à la frontière. Bien que nous ne soyons pas experts en matière de handicap, nous espérons que les progrès se poursuivront et nous engageons, à notre échelle, à intégrer davantage ces questions dans nos formations.

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    GEORGELIN Mannig. “How does One Get Around in a Wheelchair in Armenia ?”. EVN Report. 2 octobre 2025. Lien vers l’article
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    Disability Rights Agenda. Shadow Report : The implementation of the UN convention on the Rights of Persons with disabilities in Armenia”. 20 janvier 2025. (P. 7) Lien vers le rapport
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    À ce sujet, voir notamment : HARUTYUNYAN Anna. “Inclusive Education In Armenia”. The Armenian Weekly. 19 mars 2024. Lien vers l’article