Prorogation du mandat de l’EUMA et accord de paix : la frontière arménienne, le dilemme européen | Markus Ritter

Les relations entre l’Union européenne et l’Arménie connaissent un essor inédit. La haute représentante de l’UE, Kaja Kallas, n’hésite pas à parler d’un niveau historique. Pourtant, cet approfondissement n’est pas du goût de tous les acteurs régionaux. Tandis que l’UE et l’Arménie renforcent leur coopération en matière de sécurité et de défense pour répondre aux besoins immédiats d’Erevan, la Hongrie, alliée de Bakou, a opposé son veto au financement par la Facilité européenne pour la paix (FEP). Au-delà des déclarations politiques, l’outil concret de la présence européenne demeure la mission civile de l’UE en Arménie (EUMA), déployée à la frontière avec l’Azerbaïdjan depuis 2023. Cette mission, incarnation de la « puissance douce » de Bruxelles, est régulièrement la cible de critiques. Son chef, Markus Ritter, a accordé à Voix d’Erevan un entretien exclusif, promettant « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ».

Cet entretien intervient alors qu’Armenia Peace Initiative (API) poursuit ses formations aux gestes de premiers secours dans les villages frontaliers arméniens, zones directement concernées par les enjeux sécuritaires évoqués par Markus Ritter. Depuis 2023, plus de 700 civils ont déjà été formés et équipés grâce à ce programme inspiré des protocoles de l’OTAN, renforçant ainsi la résilience des communautés vivant à proximité immédiate de la frontière.

Un mandat prolongé, symbole d’unité

Le Conseil européen a décidé de prolonger le mandat de l’EUMA jusqu’en février 2027. « Le mandat reste exactement le même que celui des deux premières années », explique Ritter, « et compte tenu de notre succès, tous les États membres ont accepté de continuer avec ce même mandat ». Vingt-cinq pays de l’UE y participent, ainsi que le Canada, non-membre.

Pour Ritter, l’EUMA est « le symbole clair du soutien unanime de l’Europe à la paix et à la stabilité dans le Caucase du Sud ».

Les préconditions imposées par Bakou

L’Azerbaïdjan exige le retrait de la mission comme condition préalable à un accord de paix. « Le retrait des forces de pays tiers figure parmi les conditions du traité », reconnaît Ritter, qui précise cependant que la décision finale appartiendra à l’Arménie : « Si la signature et la ratification du traité posent la question de notre mandat, l’UE négociera avec Erevan. »

Mais le retrait de l’EUMA n’est qu’une des conditions avancées par Bakou. L’Azerbaïdjan exige aussi que l’Arménie modifie sa Constitution pour en retirer toute référence au Haut-Karabakh, dissolve le Groupe de Minsk de l’OSCE et accorde un accès extraterritorial à l’enclave du Nakhitchevan.

Si l’on comprend la logique de ces trois revendications, qui visent à effacer toute base historique ou juridique de futures prétentions arméniennes, l’exigence concernant l’EUMA soulève davantage de questions. Pourquoi demander le départ d’une mission qui, chiffres à l’appui, contribue à stabiliser la frontière ?

Patrouilles et stabilisation

Depuis son déploiement, l’EUMA a effectué près de 6 000 patrouilles. « Par notre présence et nos patrouilles le long de la frontière, nous stabilisons la situation », affirme Ritter. Les violations du cessez-le-feu ont sensiblement diminué. « C’est reconnu du côté arménien, et sans doute vu positivement ailleurs », ajoute-t-il.

La mission dispose d’une liberté de mouvement totale en Arménie et coopère étroitement avec l’armée et les gardes-frontières.

Concernant la frontière délimitée, notamment dans la région du Tavush (12,7 km), Ritter rappelle que l’idée d’un retrait de l’EUMA avait été évoquée à l’automne 2024, mais sans suite : « Pour nous, rien n’a changé. Nous continuons de patrouiller. La situation s’y est calmée : les armées se sont retirées, les gardes-frontières tiennent leur position, des opérations de déminage sont en cours. Depuis mai dernier, aucun changement n’a été constaté. »

Dialogue avec la population

L’EUMA ne se limite pas à patrouiller : elle établit aussi un contact avec les habitants. Les équipes se rendent dans les villages, les bourgs et les fermes isolées pour échanger avec les civils. Depuis décembre 2024, elles visitent également les écoles frontalières pour expliquer le mandat de la mission et présenter l’Union européenne. Chaque officier y parle de son pays et de son métier, donnant un visage humain à cette présence internationale.

Ces initiatives, interrompues durant l’été, reprendront à la rentrée, et concernent aussi les municipalités et les maires.

Une mission appréciée, malgré la barrière linguistique

« L’Arménie est un pays magnifique, mais sa langue est difficile », sourit Ritter. Pour le travail quotidien, l’EUMA s’appuie sur des interprètes. Hors service, les échanges se font parfois « avec les mains et les pieds », mais de plus en plus de jeunes parlent anglais et abordent spontanément les Européens.

L’accueil est chaleureux. « Après deux ans et demi, nous nous sentons toujours les bienvenus », confie Ritter. Lorsque l’idée d’un retrait a circulé l’hiver dernier, beaucoup d’habitants ont exprimé leur souhait de voir la mission rester.

Une présence qui rassure

L’impact de l’EUMA dépasse la frontière. À Yeghegnadzor, où se trouve le quartier général, les habitants voient quotidiennement circuler des véhicules aux couleurs de l’UE. « Cela leur donne le sentiment de ne pas être seuls, que la communauté internationale veille », explique Ritter. Cette visibilité dissuade aussi les actions hostiles.

Observer, mais ne pas enquêter

La mission n’a pas de mandat d’enquête. Avec une frontière longue de près de 1 000 km, il est rare qu’elle soit témoin direct des incidents signalés. Les observations sont transmises à Bruxelles et aux États membres, qui en tirent leurs propres conclusions.

« L’UE dispose d’informations sur les incidents, mais elles ne sont pas rendues publiques », admet Ritter.

Une chose est certaine : l’Arménie souhaite que la réalité de la frontière soit portée à la connaissance des décideurs internationaux, tandis que l’Azerbaïdjan refuse toute coopération. « Les conclusions s’imposent d’elles-mêmes », conclut-il.