À Bakou, les otages et prisonniers arméniens bientôt dans une boîte noire

Enfermés dans une « boîte noire » : c’est la perspective sinistre qui guette les otages et prisonniers arméniens détenus à Bakou depuis que le gouvernement azerbaïdjanais a notifié le Comité International de la Croix Rouge de quitter le pays, le 05 mars dernier. 

Le CICR est la seule « ligne de vie » reliant les otages et prisonniers arméniens enfermés à Bakou au monde extérieur. Les rares communications et nouvelles d’eux parvenant à leurs familles sont permises par la Croix rouge. Avec la fermeture annoncée de la Croix Rouge, la dernière partie tierce ayant une visibilité minimale sur ce qui se passe dans les prisons de Bakou disparaîtra. Dans la salle d’audience, resteront les otages face à des juges iniques et l’unique agence de presse officielle et autorisée, Azertag.

Dans les dernières semaines, le régime d’Ilham Aliyev semble vouloir isoler la société azerbaïdjanaise du reste du monde. Fermeture d’agences de presse occidentales (BBC) ou non accréditation de leurs journalistes (Voice of America, Blumberg), suspension d’Erasmus+ qui permettait à des dizaines d’étudiants azerbaïdjanais d’étudier dans différents pays européens et fermeture de 4 agences de l’ONU directement en charge de problèmes humanitaires dans le pays (UNDP, UNFPA, UNHCR et UNICEF). Des discussions confidentielles sont encore en cours entre le CICR et le gouvernement azerbaïdjanais en lien avec cette notification. 

La Croix-rouge était dans le viseur du régime depuis le blocus du Haut-Karabakh. De décembre 2022 à septembre 2023, la Croix rouge a pu apporter sporadiquement des biens de première nécessité en particulier aux mères de famille et transporter des malades nécessitant des soins urgents à Erevan. En dépit du respect scrupuleux des termes de son mandat par la Croix Rouge, en particulier l’impartialité, les obstacles posés à son fonctionnement pendant cette période ont été nombreux. 

Peu a filtré sur le moment, mais un article du journaliste d’investigation suédois, Rasmus Canbak paru le 29.08.24 sur OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) abordait cette question, ainsi que celle, connexe, de la marginalisation de la Croix-Rouge au bénéfice du Croissant rouge, qui ne souffre, quant à lui, d’aucune méfiance de la part du pouvoir en place à Bakou. Le régime poussait ainsi le « Croissant rouge » à prendre la place du CICR. Loin de respecter les principes d’impartialité et de neutralité qui devraient être les siens, le Croissant rouge à Bakou est une officine aux ordres du régime, qui l’avait utilisée dès la phase d’installation du blocus, en soutien aux soi-disant « activistes environnementaux » apparus en une nuit au corridor de Latchine. 

La grève de la faim de Ruben Vardanyan, commencée le 18 février 2025 et qu’il annonce terminer aujourd’hui 13 mars 2025, a au moins permis de rompre le silence sur les détenus arméniens et de faire porter la dénonciation des « farces » de procès menés à Baku contre ces derniers (prises de position du gouvernement arménien, résolution commune du Parlement européen sur “la détention illégale et le simulacre de procès d’otages arméniens, dont des représentants politiques de haut rang du Haut-Karabakh, par l’Azerbaïdjan” adoptée le 12.03.2025).

L’objectif de ces procès est de délégitimer radicalement toute l’histoire du mouvement du Karabakh depuis 1988, du long conflit qui s’en est suivi avec ses différentes phases, ses complexités, ses évolutions, et de réécrire le tout en gommant ou renversant ce qui est contraire à la version officielle de l’histoire du Haut-Karabakh écrite par Bakou, ou ne cadre pas avec celle-ci. À l’occasion même, inventer ce qui servira à la délégitimation de l’État arménien même. 

Car la phase judiciaire en cours, avec les procès staliniens des anciens dirigeants politiques et militaires du Haut-Karabakh, leurs « témoignages » et « aveux » extorqués ou chimiquement suscités, ne cherche rien moins qu’à criminaliser un peuple entier et son État.