Le premier film de la cinéaste Shoghakat Vardanyan, intitulé “1489″, a remporté le Prix du meilleur film au Festival international du film documentaire d’Amsterdam (IDFA). 1489 est le numéro attribué à Soghomon, frère de la cinéaste, 21 ans, porté disparu au début de la guerre des 44 jours dans le Haut-Karabakh.
Présenté en avant-première le 13 novembre au festival du film documentaire d’Amsterdam, “1489” a été réalisé par Shoghakat Vardanyan, une musicienne qui a décidé de se lancer dans le cinéma après avoir vécu la disparition de son frère pendant la guerre des 44 jours. Le film aborde les moments difficiles vécus par la famille de Shoghakat lors de la recherche de son frère, Soghomon, disparu au septième jour de la guerre (03 octobre 2020). Utilisant son téléphone pour filmer, elle a documenté le processus de recherche de son frère et les épreuves traversées par sa famille. Le film a émergé comme une œuvre personnelle, capturant les six mois de recherche avant la localisation des restes de Soghomon, puis les 18 mois de tests ADN nécessaires à l’identification. Le film a été façonné sur une période de deux ans, avec une grande partie du tournage réalisée avant la confirmation des résultats ADN. Contre l’avis des producteurs, Shoghakat a maintenu l’intégrité de son projet. Frère et sœur étaient musiciens, mais Shoghakat a décidé de ne pas inclure de musique dans le film, estimant que cela pourrait déformer la réalité qu’elle cherchait à capturer.
Le jury de la section Compétition internationale a déclaré que ce film « agit comme une lumière perçante qui rend visible le vaste paysage intérieur caché du deuil et crée une présence tangible d’une absence insupportable », ajoutant qu’il est « un outil de survie — pour nous permettre de voir les choses que nous préférons ne pas voir, et finalement, un exemple inoubliable de cinéma comme acte d’amour ». « Expression cinématographique opportune du besoin universel d’être reconnu dans toute notre humanité », le jury a également souligné « la condamnation convaincante des structures bureaucratiques et politiques qui nient cela ». Ils ont fait l’éloge d’un « ton de mise en scène qui, presque impossible, parvient à trouver espoir et humour dans une douleur inimaginable ».
Nombreuses sont les familles qui ressentent dans leur chair ce que Shoghakat a su capturer dans ce film. Le nombre de personnes portées disparues de la guerre de 2020 varie entre deux et trois cents, dont plusieurs dizaines de civils, les estimations basses émanant du gouvernement arménien, tandis que les plus hautes sont données par des Organisations Internationales comme la Croix Rouge. Parmi ces portés disparus, le nombre d’otages connaît la même incertitude, variant entre 45 et plus de 80. Une certitude demeure: plusieurs dizaines d’otages n’ont jamais été rendus depuis la fin de la guerre des 44 jours. L’impunité dont a joui l’Azerbaïdjan en matière de violations des droits des prisonniers de guerre et de libération des otages l’a encouragé à poursuivre: de nouveaux prisonniers de guerre ont été faits à chaque avancée des troupes azerbaïdjanaises en territoire arménien. Certains ont été assassinés, comme les sept soldats abattus au Lac Sev en septembre 2022; d’autres emmenés en captivité.
Ce nombre continue à augmenter du fait d’arrestations arbitraires de ceux que Bakou considèrent comme des “criminels de la première guerre du Haut-Karabakh” et “ des terroristes”. Vagif Khachatryan, résident du Haut-Karabakh âgé de 68 ans, a été arrêté le 29 juillet au poste de contrôle azéri du corridor de Latchine, alors qu’il se rendait à Erevan pour recevoir un traitement médical, accompagné par le Comité international de la Croix-Rouge. Accusé de crimes pendant la première guerre du Haut-Karabakh, il a subi une parodie de procès pendant plusieurs mois. Les images de Vagif le front perlé de sueur, enfermé dans un box vitré comme s’il représentait un danger pour ses inquisiteurs, ses propos déformés par le traducteur, sa défense qu’il a dû assurer seul: il vient d’être condamné à 15 ans de prison, ce qui, vu son état de santé, laisse peu d’espoir quant à la possibilité qu’il revoie sa famille.
On citera également les cas de Rashid Beglaryan, résident du Haut-Karabakh, 61 ans, qui s’est égaré et a accidentellement traversé vers le territoire contrôlé par l’Azerbaïdjan en août 2023. Arrêté depuis, il fait lui aussi face à des accusations de crimes de guerre. Sans oublier Gaguik Voskanyan,réserviste, arrêté à la frontière arméno-azerbaïdjanaise. Des accusations de “sabotage” et de “tentative de subversion” sont portées contre ce militaire, qui passera lui aussi bientôt en jugement. A ces arrestations arbitraires qui ont pour objectif de terroriser les Arméniens, s’ajoutent les arrestations politiques des huit responsables du Haut-Karabakh (dont Arayik Harutyunyan, Rouben Vardanyan, Bako Sahakyan, Davit Ishkhanyan et Arkadi Ghoukasyan) après l’attaque du 19 septembre contre la région et le nettoyage ethnique de ses habitants, vendetta plus personnelle du président Aliev contre ceux qui furent les représentants de la population du Haut-Karabakh.